J’ai beau être partie seule en connaissance de cause, la peur, le doute, la solitude, la rage ont souvent noirci des moments de ce voyage si agréable au demeurant. C’est sans compter l’aide désintéressée d’un certain nombre de personnes qui, à l’instar de cet Indien dans le train pour New Jalpaiguri (lire l’histoire ici), m’ont, sinon sauvé la vie, du moins ôté une épine du pied. Voici quelques anecdotes pour lesquelles la présence d’un ami inattendu s’est révélée salvatrice !
Contre la rage de louper son avion…
Il est 21H quand je fais escale à Dubaï de New Delhi, toute excité à l’idée de retrouver mon chéri, les enfants et Valence pour 10 jours de farniente en France ! Mon prochain vol, à 4H35, me laisse le temps de me reposer sur l’un des nombreux transats confortables de cet aéroport ultra moderne. Seule une vitre à contourner me sépare de la porte d’embarquement. A 4H, mon réveil sonne… mais je ne l’entends pas ! Je sors de ma torpeur comme une fleur à 4H30. Le temps de reprendre mes esprits, me voilà parcourant en courant les quelques mètres qui me séparent de la porte d’embarquement. Heureusement pour moi, l’équipage n’a pas encore quitté le comptoir.
– Florence ?
– Oui c’est moi !
– On vous a appelée, vous n’avez pas entendu ?
– Non, je dormais profondément ! Je peux encore monter dans l’avion ?
– Oui, oui, pas de problème !
L’hôtesse prend son téléphone et, après quelques mots échangés en arabe, m’annonce :
Je suis désolée, on vient de descendre votre bagage de la soute. Si vous étiez arrivée 5 minutes plus tôt…
Malgré mes prières, il n’y a aucun moyen de remettre mon sac dans l’avion. Le louper annule mon déjeuner à la Défense et mon passage à l’ambassade de Chine. De rage, de fatigue, les larmes coulent sans que je puisse les en empêcher, et me voilà errant dans les couloirs de l’aéroport, le désespoir peint sur mon visage, avec trop peu d’emprise sur moi-même pour réfléchir à la façon dont je pourrai rentrer dans mon pays.
Jusqu’à ce qu’un charmant Portugais me prenne en pitié ! A peine diplômé, il effectue son premier travail rémunéré à l’aéroport de Dubaï, où il n’est pas très heureux. Il semblerait que les habitants aient du mal à intégrer les employés étrangers parmi eux. Pourtant il est tellement adorable ! Alerté par mes aspects de femme en détresse, séduit par mon histoire, il essaie de calmer mes hoquets par tous les moyens mais j’ai du mal à sécher mes larmes. Me voyant incapable de la moindre réflexion, quasiment aussi ignorant que moi sur les démarches à suivre, c’est pourtant lui qui m’accompagne partout où je dois me rendre pour réserver une place sur le prochain vol pour Paris, 4 heures plus tard, sans avoir à payer autre chose que de légères indemnités. Tout ce qu’il me demande en échange de son aide, c’est de lui envoyer quelques photos de mon voyage. Au-delà des tracasseries administratives, c’est surtout dans mon cœur qu’il a réussi à mettre de l’ordre cette nuit-là !
Accompagnée par une personne qui ne parle pas anglais !
J’ai adoré les Chinois ! Ils ont une sorte de naïveté et de profond respect qui leur fait aborder les voyageurs étrangers, qui plus est seuls, avec beaucoup de délicatesse et de timidité. Ils ont été des dizaines à m’adresser une parole hésitante dans la rue, lorsqu’ils me voyaient assise comme perdue sur le pan d’un mur, mes sacs entre les jambes et mon Lonely Planet à la main ! Et pourtant, rares étaient ceux capables de comprendre ma réponse en anglais ! Mais ce n’est pas grave, ils essayaient avec toute la bonté dont ils pouvaient faire preuve…
Comme cette adorable Chinoise, rencontrée dans un bus pour Kaili, petite ville du Guizhou, au sud du pays. Quand elle m’a adressé la parole, j’ai répondu à ses questions par politesse. Qu’il est ennuyeux d’avoir des conversations avec des habitants bien attentionnés mais d’un niveau de débutant en anglais ! A notre arrivée, il fait nuit, et me voilà partie à la recherche d’un hôtel pas trop cher, qui accepte d’accueillir les étrangers… sans succès. Par le plus grands des hasards je recroise ma voisine de bus. Je ne la reconnais pas, mais elle si, et elle court vers moi. Je lui explique tant bien que mal que je ne trouve nul endroit où passer la nuit. Elle me fait comprendre de l’attendre. Et je l’attends longtemps ! Mais elle a utilisé ce temps à bon escient pour trouver un habitant de Kaili, qui me conduit dans un hôtel où la chambre ne coûte vraiment pas cher ! Mes compagnons montent même avec moi pour s’assurer que mon nouveau logis me convienne !
Et le comble : cette adorable Chinoise insiste pour me donner son numéro de téléphone, de façon à ce que je la contacte en cas de besoin. Mais ma pauvre, tu ne comprendrais rien à mon discours !
Ramenée à moto, de nuit, à la ville
Sud du Yunnan. Un homme à moto s’arrête à ma hauteur. Il ne parle pas un mot d’anglais mais m’interroge par gestes :
Où comptes-tu dormir ?
C’est vrai qu’il est déjà 19H quand j’arrive, après des heures de marche, dans le petit village de Mengong, que j’ai eu tant de mal à rejoindre. C’est que de Jinghong, il fallait prendre un bus pour Menghai, puis Menghun. Trouver le petit chemin forestier qui passait par Mengan, l’objet de ma promenade, a été un vrai calvaire, nonobstant la barrière de la langue, qui rend inintelligible tous ces noms de village qui se ressemblent tant… De Mengong, on m’avait assuré que je trouverais un bus, car le chemin de terre s’y transforme en route. Mais de bus point…
Je hausse les épaules en signe d’ignorance absolue, et je demande, toujours par gestes :
N’y a-t-il pas un hôtel à Mengong ? Est-ce que je peux dormir chez toi ou chez un habitant quelconque ?
Je ne comprends pas la réponse, mais mon interlocuteur me fait signe de l’attendre. Il m’invite à monter à l’arrière de sa moto. Je réalise assez rapidement que mon bienfaiteur me propose de parcourir les 18km qui nous séparent de la voie de passage des bus ! Il daigne même s’arrêter en route, pour que je puisse profiter des magnifiques paysages de rizières, bordés d’un lac, à la lumière déclinante du coucher du soleil ! A l’intersection de cette petite route avec la grande artère, point de bus. Qu’à cela ne tienne, mon bienfaiteur refuse de me laisser seule en plein milieu de la nuit, et parcourt avec moi les derniers 12km qui nous séparent de la ville !
J’ai voulu le payer. Tout ce qu’il a accepté de ma part, c’est une participation sur l’essence de son véhicule… Quand on parle d’action désintéressée…
Maternée par une guide qui ne me doit rien
Voyager seule en Mongolie, c’est l’aventure ! La majorité des bus locaux ne roulent que sur des voies construites, et il y en a peu. Aucun bus ne relie les villes de province entre elles, la gare routière de départ ou d’arrivée est forcément celle d’Oulan-Bator, la capitale du pays. Il est bien possible de parcourir les chemins de terre qui traversent les immenses pâturages de l’ouest de la Mongolie, mais c’est forcément dans la jeep d’un particulier, donc cher. Pour toutes ces raisons, les touristes préfèrent joindre d’autres voyageurs inscrits à l’une des nombreuses excursions proposées par les auberges de jeunesse : partager le van à 5 ou 6 permet de réduire drastiquement les coûts.
Intégrer un tour tout fait, très peu pour moi ! Mais je meurs d’envie de découvrir le désert de Gobi. Je prends le risque d’embarquer dans un bus pour Dalandzadgad, l’une des rares villes du désert, située à proximité des trois joyaux du Gobi, à savoir le canyon de Yolyn Am, les dunes de sable de Khongoryn Els et les montagnes de feu de Bayanzag. J’ai l’espoir de rencontrer dans ce bus d’autres voyageurs indépendants avec lesquels je pourrais, à notre arrivée, partager les frais d’une jeep louée pour quelques jours. Mais pas de chance, je suis seule… Quelle n’est pas ma surprise lorsque je vois monter une Mongole que j’avais déjà vue le matin-même dans ma guesthouse ? Difficile de l’oublier, nous venions toutes les deux de vivre un drame dans la mort d’un Américain de 70 ans, mon compagnon de dortoir. A 4H ce matin-là, je m’étais réveillée à la voix de deux Israéliens qui tentaient de le ranimer, sans succès. Nous avions attendu ensemble l’ambulance, la police, et un représentant de l’ambassade des Etats-Unis. A ma surprise, c’est le représentant de l’ambassade qui avait été le plus prompt à entrer dans la chambre : 10 minutes contre 30 pour le médecin des urgences et 45 pour le policier !
Assister à la mort de quelqu’un, ça crée des liens. Cette guide, Boogii, me prend sous son aile.
Demain matin, je récupère à Dalandzadgad deux Singapouriens pour un tour de 2 semaines. S’ils acceptent, tu peux te joindre à nous pour la première partie du tour et rentrer sur Oulan-Bator à temps pour demander ton visa russe à l’ambassade !
Le soir même, je passe la nuit avec elle chez la maman d’Ogii, la responsable de la guesthouse d’Oulan-Bator, et le lendemain me voici dans son van.
Deux semaines plus tard, je suis dans le nord de la Mongolie, sur le dos d’un cheval, précédée de mon guide Moksou (lire l’histoire ici). Nous venons de partir de Tsagaannuur et voici qu’il m’indique de la main les tipis des Tsaatanes. Ces habitations étant désertes, je ne mets pas longtemps avant de comprendre qu’il ment, et exige de lui qu’il me mène aux vrais camps des éleveurs de rennes. Nous trottons depuis moins d’une heure lorsque, assise sur les pâturages au milieu de tentes et d’un groupe de touristes, m’apparaît ma Boogii, tel un ange salvateur !!! Non seulement accepte-t-elle que je rejoigne son équipe une fois encore, mais en plus elle entreprend de cuisiner pour moi sur les réserves de ses clients !
S’il vous prend l’envie de visiter la Mongolie, n’hésitez pas à contacter Boogii, elle est formidable : boogii_210@yahoo.com
Contre le stress de récupérer son passeport en dehors des heures d’ouverture de l’ambassade
A cause de mon guide Moksou, qui n’a pas rempli son devoir de s’assurer qu’une jeep me transporterait bien de Tsagaannuur à Mörön ce mercredi, tout mon planning tombe à l’eau. En arrivant à Mörön avec un jour de retard, je ne peux prendre le bus pour Oulan-Bator que vendredi après-midi, arriver dans la capitale samedi matin, attendre lundi pour récupérer mon passeport et prendre le train pour Irkoutsk mardi, ce qui me fait rester 4 jours de plus à Oulan-Bator et en perdre autant en Russie. Ma seule solution : prendre l’avion de Mörön à Oulan-Bator vendredi en début d’après-midi, afin d’arriver à 16H à l’ambassade de Russie, sous réserve que la section des visas accepte encore la venue des étrangers, limitée au créneau horaire quotidien de 14H-15H.
J’appelle l’ambassade et tombe sur une charmante Russe à l’anglais parfait, qui prend à cœur ma requête et m’envoie un texto quelques minutes plus tard :
– Exceptionnellement, la section des visas accepte de te recevoir, mais tu dois être à l’ambassade entre 15H30 et 15H45 au plus tard.
– Malheureusement, mon avion ne décolle qu’à 13H30 ! Quoi que je fasse, je pourrai être à l’ambassade dans le meilleur des cas à 16H ! S’il te plaît attends-moi ! Car si je ne suis pas sûre de récupérer mon visa cet après-midi, je n’ai aucune raison de prendre l’avion, je peux bien rentrer à Oulan-Bator en bus, ça me coûtera 3 fois moins cher !
– C’est faisable mais considère bien ton entreprise : car même si l’avion décolle et atterrit à l’heure, il y a des bouchons dans la capitale en début de week-end et il n’est pas certain qu’un taxi te déposera en temps et en heure à l’ambassade.
– Tant pis, je prends le risque !
– Crois bien que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider et garder les employés à la section visa le plus longtemps possible ! Au pire, si tu ne peux récupérer ton passeport que lundi, je te conseille les cours de salsa au Bojangles Grill 😉
Et nos échanges de SMS, de plus en plus amicaux, ont continué comme ça tout le temps de mon trajet : de mon départ en avion à mon atterrissage, en lui indiquant la position de mon taxi dans Oulan-Bator toutes les 5 minutes… L’espace de quelques heures, je me suis crue dans un épisode de Mission Impossible (sans les explosions) ! A l’arrivée de mon taxi à l’ambassade, je vois le réceptionniste de la section visa se précipiter vers moi : alerté par ma messagère, il saisit mon sac pour que je puisse courir récupérer mon passeport plus rapidement. Et c’est comme ça que j’ai pu partir pour la Russie avec 4 jours d’avance, contre toute attente. Bien sûr j’ai voulu rencontré ma sauveuse : Katia est dans le bâtiment principal de l’ambassade de Russie, m’annonce le réceptionniste.
Et Katia, cette jolie jeune fille blonde plus jeune que moi, passionnée par son métier et par la Mongolie, sincèrement heureuse d’avoir pu m’être d’une quelconque utilité, accepte de me recevoir. Quand je pense que d’autres touristes m’avaient prévenue :
Tu verras, les Russes de l’ambassade sont vraiment pas sympas !
Où dormir ?
Je peux vous aider ?
Incroyable ! Alors que les guichetières des gares ferroviaires russes, bien qu’en contact constant avec des touristes étrangers, ne déblatèrent pas un mot d’anglais, voici que l’agent de sécurité se propose de faire l’interprète !
Il est 23H, je viens de descendre du train, je n’ai réservé de chambre nulle part, et de toute façon, les hôtels sont soit trop loin, soit trop chers. Je compte donc sur les confortables et abordables komnaty (chambres de repos en russe) de la gare de Nizhny Novgorod. Oui mais voilà, les komnaty sont complets ! Et la gérante de me montrer du doigt la route, tout en blablatant en russe, consciente que je ne comprends strictement aucun mot de son discours ! Voici l’état de profond désarroi dans lequel je me trouve, lorsque cet agent de sécurité, qui a assisté à toute la scène, m’aborde.
Il m’installe dans la salle d’attente avec mes sacs pendant que lui se charge de régler mon problème. Il me trouve un hôtel à 1500 roubles (35€), et j’ai encore le toupet de refuser sa proposition parce que le prix de la chambre est excessif ! Il s’arrange avec la responsable pour m’ouvrir la pièce VIP… Vous vous imaginez tout de suite lits confortables, mini-réfrigérateur, salle de bain en marbre… Non non, je dormirai sur un canapé, les fenêtres de la pièce, mal insonorisées, donnant sur le quai n°1, et sans douche, pour 680 roubles (15€). Ca vaut le coup quand même !
Le lendemain matin, alors que je pars à la recherche de mon bienfaiteur pour le saluer, il a déjà pris l’initiative de demander pour moi à la guichetière les horaires des trains pour Gorodets !
L’homme de l’ombre…
Tu peux me donner quelques adresses d’auberges de jeunesse pas chères sur Katmandou ? C’est urgent !!!
Quels sont les horaires du Circumbaïkal entre Slioudanka et Port Baïkal ?
Elles ont été nombreuses, les fois où, anxieuse, je me suis retrouvée sans une information vitale pour la poursuite de mon périple… Mais dans l’ombre, il veillait, et répondait à mes requêtes avec une efficacité que lui envierait James Bond ! OK, j’exagère… Il a quand même beaucoup râlé, notamment à cause de l’état d’urgence que je lui imposais systématiquement… Mais il a bravement affronté tous les obstacles, de la connexion internet qui s’interrompt à la décharge de sa batterie de téléphone, en passant par les SMS qui ne sont réceptionnés qu’une fois sur deux… Il s’est cassé les dents sur des questions aussi absurdes que :
Est-ce que tu peux vérifier si je peux prendre l’avion sans passeport en Mongolie ?
Ah ! Mon ange, jusqu’où serais-je allée sans toi ? Merci pour ton soutien et ta constance dans l’épreuve !
Je dois beaucoup à toutes ces personnes : si j’aurais pu me débrouiller sans elles, leur soutien m’a néanmoins permis d’affronter les obstacles avec plus de sang-froid et de baume au cœur. Elles ont bien sûr mes coordonnées et un soutien sans faille dès qu’elles le requerront. En attendant, j’encourage chacun d’entre vous, mes amis, à vous arrêter auprès de ces étrangers perdus que vous croiserez comme ces inconnus ont fait pour moi, en imaginant que vous pourrez leur apporter l’aide dont j’aurais eu besoin à l’autre bout de la terre…
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