McLeod Ganj lever du jourIl est 7H30 à McLeod Ganj, ville de résidence du Dalaï Lama et de sa clique. Après l’effervescence des rues des grandes villes indiennes, le soleil qui se lève sur la vallée, l’atmosphère de sérénité religieuse qui règne dans la ville et les sourires des Tibétains sont autant de contrastes bienheureux. Les allées sont submergées par une marée humaine lente et silencieuse de moines et de civils tibétains en partance pour le Tsuglagkhang où Sa Sainteté, comme l’appellent révérencieusement les bouddhistes, est sur le point de donner un enseignement. C’est la pleine lune, 15 jours après Losar, le Nouvel An Tibétain, et le discours du Dalaï Lama est impatiemment attendu, pas seulement par les moines de McLeod Ganj : d’autres religieux viennent du sud de l’Inde où réside une importante communauté tibétaine, ainsi que d’un peu partout dans le monde, sans omettre les touristes qui se retrouvent là par hasard ou parce qu’ils l’ont décidé. Arrivées au temple, des centaines de personnes sont déjà assises en tailleur, à même le sol ou sur des coussins, sur ses deux étages, et attendent l’apparition du Dalaï Lama pour 9H. Je me place à côté du tapis rouge qui le conduira du temple à sa résidence principale.

McLeod Ganj moines de dosUn moine en robe rouge et orange commence à chanter des mantras dans un micro. Sa Sainteté apparaît tout sourire, soutenue par ses pairs dans la descente des escaliers du temple, sous une ombrelle dorée. Il salue la foule de gestes de la main et n’hésite pas à en serrer quelques-unes sur le passage. Il se dirige vers le milieu du temple, s’assoit en tailleur sur un banc blanc surmonté d’un drap à fleur, le même que sur la table devant lui. Les photographes professionnels mitraillent le personnage (caméras, appareils photo et téléphones portables étaient interdits à l’entrée pour tous les autres) et les traducteurs s’éclaircissent la voix. Le Dalaï Lama est sur le point d’effectuer son discours en tibétain, nous avons acheté une radio pour capter la fréquence du traducteur anglais. Soyez indulgent, il s’agit de la traduction partielle d’une interprétation anglaise du discours ! Voici donc ce que dit Sa Sainteté.

Il commence par prier les hommes et les dieux d’écouter attentivement les enseignements de Bouddha.

Tous les hommes recherchent le bonheur et tentent d’éviter la souffrance. Ce qui provoque la souffrance, c’est l’ignorance de ses causes. Pour éviter la souffrance, nous devons donc dépasser cette ignorance en déterminant la réalité.

Comment connaître la réalité ?

Il y a deux types de connaissances : celles qui sont évidentes, et celles qui requièrent un raisonnement logique. En cela, l’esprit est notre meilleur atout, puisqu’il est dans sa nature de percevoir, de connaître, d’apprendre. D’où la capacité et la nécessité de développer sagesse et réflexion par la méditation. Il ne s’agit pas d’apprendre une leçon, mais d’utiliser la raison et la logique pour développer des convictions et les argumenter. Ce n’est qu’ainsi que l’homme est capable de dépasser les causes de sa souffrance, d’atteindre la liberté ou le nirvana.

Certains enseignements du Bouddha peuvent être pris littéralement, d’autres nécessitent une interprétation, d’autant plus que les choses ont changé au cours des siècles. De plus, il n’y a pas de vérité absolue, car ce qui est vrai à un moment donné peut ne plus l’être après, et que la vérité dépend des relations des choses entre elles et de facteurs qui leur sont associés. Par exemple, les problèmes environnementaux et la protection de l’environnement sont intimement liés à l’économie. Nous commettons des erreurs lorsque nous ne prenons pas garde aux interactions des choses. C’est pour cette raison que la plupart des problèmes rencontrés sont d’ordre humain : les gens sont trop étroits d’esprit, bornés et centrés sur ce qu’ils pensent comme étant la vérité absolue. Si les dirigeants des pays agissaient en fonction de la réalité et portaient leur regard sur les conséquences mondiales de leurs décisions au lieu de ne se focaliser que sur leur pays, de nombreuses erreurs pourraient être évitées.

A ce moment il doit s’interrompre : les singes qui se balancent sur les toiles de jute et sur le temple font un tel raffut que la foule en est déconcentrée :

Quoi que vous fassiez là-haut, par pitié n’urinez pas sur les gens !

Puis il reprend:

Nous devons tout faire pour ne pas rendre les autres malheureux car notre bonheur dépend de celui des autres. C’est pourquoi nous ne devrions pas tromper les autres, même si nous en avons la possibilité. Si nous voulons nous faire des amis, nous devons d’abord instaurer entre nous une relation de confiance. Pour développer cette confiance, nous devons rester transparents, honnêtes, éthiques et moraux pour le bénéfice de tous. Par ce biais nous réduisons la souffrance que les êtres humains se causent à eux-mêmes. Sur 7 milliards de personnes sur cette planète, 6 milliards se disent « croyants ». Aucune religion n’inculque à ses disciples la tromperie et la malveillance. Pourtant, combien de ces croyants font-ils preuve de malhonnêteté ? L’Inde est un patchwork de religions dont les adeptes sont les plus pratiquants. Pourtant le pays est gangrené par la corruption, ce qui est contradictoire. On ne peut malheureusement faire confiance à des gens seulement parce que ce sont des croyants.

La philosophie bouddhique a ses adeptes parmi les pays occidentaux, quel que soit le milieu de ces adeptes, et même parmi les scientifiques. Les Chinois ont dit que le bouddhisme tibétain était une « foi aveugle ». Dans les années 60, ils ont même annoncé la mort du bouddhisme par les progrès scientifiques. Pourtant au 21ème siècle, non seulement cette philosophie existe toujours, mais les scientifiques l’admirent ! L’importance de cette philosophie aux yeux du monde doit pousser les Tibétains à étudier les textes sans relâche.

Aux occidentaux de décider s’ils veulent bénéficier de ces enseignements, le Dalaï Lama n’a bien sûr jamais affirmé que le bouddhisme était la meilleure des religions.

C’est pour cela que les Tibétains doivent chérir ce qui leur appartient, leur langage, leurs traditions. Un enseignement bouddhiste donné dans une autre langue que le tibétain ne permet pas d’utiliser les bons termes avec précision. Le Tibétain est la langue la plus adaptée pour colporter les enseignements de Bouddha. Quand on possède des bijoux de valeur, on les laisse dans un coffre. En ce qui concerne le bouddhisme, c’est différent : il doit servir à quelque chose. C’est pourquoi il est important d’étudier les écrits avec assiduité.

Pour clore son discours, le Dalaï Lama lit l’un des textes du Jataka, livre qui raconte la vie de Bouddha. Puis il bénit tous les participants à son enseignement :

Que toutes vos prières soient exaucées, quelles qu’elles soient.

Bouddhiste ou non, difficile de ne pas boire les paroles du Dalaï Lama tant il montre de conviction dans ses mouvements de tête et ses gestes précis. Il ne s’adresse pas à la foule mais à chacun des membres qui la composent, en prenant toujours soin d’illustrer ses propos par des exemples scientifiques, économiques ou politiques contemporains.

McLeod Ganj moines de faceA la fin de son discours, les mantras reprennent. Entouré de moines et de ses gardes du corps, Sa Sainteté traverse le tapis rouge qui le mène à sa demeure. Je ne suis qu’une occidentale au milieu de la foule et pourtant, en passant à côté de moi, il m’a souri. Il a un geste, une parole pour chacun, qui donne la certitude d’être unique. Cet enseignement est le dernier que le Dalaï Lama aura prodigué au Tibet avant des mois. A partir de mars, il interviendra en effet en Europe (Irlande, Suisse), aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Le saviez-vous ?

Les moines tibétains portent une robe couleur bordeaux. Associée à une robe orange, elle n’est portée que par les moines jugés les plus spirituels.

En 2011, le 14ème Dalaï Lama (l’actuel) a demandé à ce que le rôle politique soit dissocié du rôle spirituel et tenu par un 1er ministre. Aujourd’hui c’est un juriste qui représente le Tibet sur le plan politique, tandis que le Dalaï Lama se consacre à son rôle spirituel.

Pour en savoir plus :

http://dalailama.com/news/post/913-his-holiness-the-dalai-lama-reads-a-jataka-tale-on-the-day-of-miracles