Les Tsaatanes sont un peuple de nomades éleveurs de rennes. A la fin de l’avènement de l’état providence russe, ils ont traversé les montagnes enneigées qui marquent la frontière russo-mongole pour venir s’installer dans le nord de la Mongolie. Il existe aujourd’hui 600 familles disséminées dans la taïga, qui possèdent 10 à 250 rennes, et se déplacent deux fois par an pour apporter un peu de fraîcheur à leurs animaux, que la chaleur met en danger. Ces familles vivent en tipi dans des conditions précaires, sont la proie des caprices de Mère Nature et croient dans les esprits. C’est à 8 heures de cheval du village le plus proche, Tsagaannuur, que j’ai rencontré les habitants de l’est de la taïga.

Mongolie Tsaatanes tipis

Ils ont planté leurs tipis dans une vallée fraîche, entourée de montagnes dont la neige n’a pas encore fondu, en plein cœur de l’été. On pourrait croire que le froid passe allègrement à travers les tentures, dressées sur de grosses et longues branches d’arbres reliées en leur sommet. Mais au contraire, le poêle, alimenté régulièrement par des morceaux de bois, dégage une telle chaleur qu’elle en est suffocante. Le confort est sommaire et la décoration tient plus de la nécessité que de l’esthétisme. Aux branches pendent de la viande séchée, des carrés de fromage, quelques foulards bleus, des ceintures et des chapeaux. En effet, ces deux derniers accessoires représentent beaucoup aux yeux des Mongols et les suspendre lorsqu’ils ne sont pas utilisés est un symbole de respect de la personne. Dans la taïga plus qu’ailleurs, les traditions sont bien vivaces. Ainsi on donne de la main droite et on reçoit la paume orientée vers le ciel. Utiliser la main gauche dans sa relation avec autrui est vu comme un manque de respect et peut choquer les villageois non habitués aux mœurs occidentales. Les invités de marque se voient présenter une blague à tabac, qu’il est d’usage d’humer pour rendre hommage à ses hôtes.

Mongolie Tsaatanes tipi intérieurL’hospitalité est une seconde nature chez les Tsaatanes. A peine avons-nous  le temps de nous asseoir sur l’un des lits ou sur un tapis de sol que nous nous retrouvons un bol de lait de renne à la main et un immense plateau de victuailles à partager. Nous nous nourrissons de pain fait maison, qui n’a rien à envier aux meilleures boulangeries de France, et de fromage au lait de renne, un peu acide. Dans un autre tipi, une femme prépare des beignets fourrés à la viande. Tous les repas sont préparés à base de produits locaux. Seule la farine mongole est achetée par les villageois. Le lait, la viande, le beurre, le yaourt, les pâtes constituent la base de l’alimentation nomade et ses ingrédients proviennent des animaux élevés par les familles. Sur la Taïga ne pousse aucun légume, le climat est trop rude. Et faire des courses implique de se rendre à Tsagaannuur, à 8 heures de cheval, car aucune jeep ne peut parvenir jusqu’au camp. C’est donc avec beaucoup de joie que les enfants sautent sur notre pâte à tartiner pour agrémenter leurs tranches de pain !

Mongolie Tsaatanes rennes 2Le renne est à la taïga ce que le cheval est à la Mongolie. Il se chevauche, on en trait le lait et on en mange la viande. Les campements de tipis sont constitués de telle façon que les demeures encadrent le terrain sur lequel les rennes se baladent avec leurs petits, en toute quiétude. C’est l’été et leurs bois, encore fragiles, sont fortement nervurés et recouverts d’un fin duvet. On ne peut pas les toucher, ils sont trop sensibles. Il faut attendre l’hiver pour que ces cornes se transforment en os, avant de tomber et de repousser au printemps suivant. Les familles de l’est de la taïga possèdent entre 10 et 15 rennes, tandis qu’ils se comptent par centaines chez les habitants de l’ouest. Les conséquences sont d’autant plus graves lorsque les troupeaux se font attaquer par des loups, ce qui arrive malheureusement trop régulièrement. Le matin de mon départ, une attaque des carnivores a provoqué la disparition d’un animal. Les nomades possèdent bien des chiens pour protéger les rennes lorsque les loups chassent, mais malheureusement ce n’est pas suffisant. Pour rejoindre les deux campements situés un peu plus loin, il nous faut traverser à pied les buissons de la taïga et les rivières, alors que les Tsaatanes parcourent ce trajet en chevauchant leurs rennes. On se sent si ridicule à côté de ces gamins qui montent sans selle et pieds nus !

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Magali Schneider suit l’évolution des Tsaatanes depuis plus de 20 ans. A l’époque, spécialiste de géographie culturelle, elle a été mandatée par les autorités mongoles pour étudier les mœurs et les déplacements de ces nomades. Elle y retourne chaque été avec ses enfants.

Dans les années 90, j’ai vu débarquer dans la taïga des missionnaires évangélistes censés convertir les habitants au christianisme. Heureusement, une loi votée par le gouvernement mongol a interdit les conversions religieuses effectuées par des étrangers, et tout ce petit monde a disparu du jour au lendemain !

Historiquement, les Mongols pratiquent le chamanisme et croient dans les esprits, mais ils ont été fortement influencés par le bouddhisme. Aujourd’hui leur religion mixe des éléments de ces deux croyances. Il n’est pas rare de trouver dans les yourtes une photo du Dalaï Lama à côté d’un foulard bleu, symbole du ciel. Les owa, sortes d’autels de prière, sont essentiellement constitués d’éléments chamaniques comme des rochers, des crânes d’animaux, des offrandes et des foulards de couleur verte (végétation), bleue (ciel), rouge (feu/soleil) et blanche (lune), mais on y trouve également des foulards jaunes en représentation du bouddhisme.

L’un des tipis est habité par un chaman. Il a hérité ce don de sa mère et de sa grand-mère avant elle, décédées respectivement à 75 et 102 ans, un âge très avancé pour des nomades aux conditions de vie si précaires. Il n’est pas encore apte à entrer en relation avec les défunts pour prédire l’avenir, il attend une révélation du ciel promise par ses aïeules. Dans tous les cas, il critique sans vergogne les écoles de chamanisme qui ont vu le jour à Oulan-Bator ces dernières années, il lui paraît aberrant que des jeunes de 18 ans sans don puissent n’être autre chose que des charlatans.

Il y a 15 ans, je ne donnais pas cher de leur peau. Avec des revenus aussi maigres, les Tsaatanes souffraient de malnutrition et étaient continuellement attirés par la vie dans les villes et les villages, bien plus confortable que celle que leur promet la taïga. Heureusement, et à ma grande surprise, ils ont su tirer parti du tourisme !

Zaïa est mongole mais elle a passé la majorité de sa vie aux Etats-Unis. Appelée à travailler sur un projet de tourisme lié aux Tsaatanes, elle participe à l’élaboration du TCVC (Tsaatan Community & Visitors’ Centre), basé à Tsagaannuur. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre celui qui allait devenir son mari, et qu’elle s’installe dans la taïga, il y a maintenant six ans. Donc le tourisme, elle connaît ! Elle a planté quelques tipis-hôtels pour touristes, qu’elle facture environ 5€ la nuit, et organise tous les jours vers 19H le marché aux sculptures.

Mongolie Tasaatanes marchéMongolie Tsaatanes femme

Chaque artisan étend sur de petites couvertures les œuvres réalisées de ses mains : cornes de rennes et médaillons sculptés, sacs en peau de renne, blagues à tabac en pierre douce, bracelets de jade,… Certaines familles s’en retournent enrichies, avant de partir traire leurs rennes. Un tourisme responsable, quoi… Mais il n’en a pas toujours été ainsi selon Magali.

Jusqu’en 2000 à peu près, des hélicoptères de touristes partaient d’Oulan-Bator le matin, arrivaient dans les camps de l’ouest de la taïga, où les Tsaatanes effectuaient une sorte de danse de bienvenue, et pique-niquaient sur place avant de repartir dans la capitale !

Quel avenir pour les Tsaatanes ? Cette problématique intéresse fortement l’anthropologue, qui aimerait refaire une étude prochainement. C’est que leur situation économique est en pleine mutation.

Il y a 3 mois, le gouvernement mongol a voté une loi visant à accorder un salaire aux familles Tsaatanes, sous réserve qu’elles vivent un certain nombre de mois dans la taïga et qu’elles possèdent un certain nombre de rennes. Le gouvernement paie également les frais de scolarité des enfants de la taïga. Ces derniers sont scolarisés à Tsagaannuur et dorment en dortoir à partir de 8 ans. A un âge inférieur, les parents sont autorisés à passer 4 mois avec eux, perçoivent tout de même un revenu et laissent leurs rennes dans les montagnes enneigées, où ils ne sont pas inquiétés par les loups.

Que feront les Tsaatanes de cet argent ?

Difficile à dire. Le gouvernement vient de passer une loi visant à privatiser les terres. Un vrai casse-tête quand il s’agit de parler privatisation à des nomades ! Ils ont jusqu’à 2015 pour entourer leur terrain de clôtures, de façon à en faire l’acquisition, mais une clôture coûte tout de même 2 millions de tugriks (un peu plus de 1000€) ! Ce salaire leur permettra également d’améliorer leurs basiques, comme cette famille qui n’a plus que trois rennes à cause des ravages causés par les loups, et va pouvoir en acheter aux habitants de la taïga ouest. Pourquoi les habitants de la taïga n’auraient-ils pas droit à un meilleur confort de vie ? L’arrivée de la télévision est un grand pas en avant !

Les Mongols, eux, voient cette source de revenus d’un autre œil. Les Tsaatanes auront bientôt les moyens de migrer vers les villages, de vivre confortablement la majorité de l’année, lorsque les conditions climatiques sont difficiles, sans avoir de métier, et revenir dans la taïga pour les beaux jours. Déjà à l’école, ils ne sont pas forcément tendres avec leurs compatriotes nomades.

Le racisme est fréquent envers les enfants de la taïga, il est facile de les identifier à cause de leur accent.

A tel point qu’aujourd’hui le touva, la langue des Tsaatanes, se perd car les parents n’osent plus l’enseigner à leurs enfants. Heureusement une école de touva vient compenser ce manque tous les étés. Espérons que les moyens mis en place par le gouvernement suffiront à préserver la spécificité culturelle des Tsaatanes, dans un monde où il est si facile de succomber au confort de la modernité…