Vous croyez que je passe ma vie dans les trains ? C’est pas tout à fait faux… Il faut dire que malgré mes nombreux trajets (5000km déjà !), j’ai l’impression de découvrir les gares ferroviaires à chaque fois !
Cette nouvelle anecdote commence quand, à la gare de Mughal Serai, à une vingtaine de kilomètres de Varanasi, l’employé au bureau des renseignements m’annonce :
Votre train a 23 heures de retard !
Je le regarde les yeux écarquillés, totalement abasourdie par la nouvelle.
C’est une blague ?
Il éclate de rire.
Non ce n’est pas une blague ! Bienvenue en Inde !
Il faut dire que ma patience atteint ses limites : le train de nuit que j’avais pris la veille avait déjà 7 heures de retard ! J’étais loin de m’imaginer qu’on puisse faire pire !
Alors je fais quoi ?
Votre meilleure option, c’est de revenir demain.
Je mens.
Mais j’ai déjà un trek organisé dans le Sikkim, je ne peux pas me permettre de ne pas prendre le train aujourd’hui !
Il y a bien deux autres trains ce soir, mais il faut vérifier avec le superintendant s’il reste de la place : le Rajdhani Express à 22H45 et le Maharandi Express, le même train que le vôtre, mais qui arrive ce soir au lieu de hier, vers minuit, avec 30 heures de retard !
La blague !!! Le superintendant se comporte comme le dernier des arrogants à ignorer mes requêtes, après m’avoir confirmé que ces deux trains étaient complets. Un remboursement est inenvisageable, il faut dire que les gestes commerciaux ne font pas partie des mœurs indiennes, mes hôtes ont plutôt tendance à demander de payer des suppléments…
Je mens à nouveau.
Je ne peux pas attendre ici jusqu’à demain, je n’ai même pas d’argent pour me payer une chambre !
Vous pouvez rester dans la salle d’attente des femmes, c’est sécurisé, il y a des sièges et c’est gratuit !
Trois options s’offrent à moi : soit je rentre à Varanasi et y passe une journée de plus, mais il fait nuit ; soit je dors dans la gare, mais ça sent l’échec ; soit j’annule mon billet pour la sleeper class, je prends un ordinary ticket, saute dans le prochain train pour New Jalpaiguri et dors par terre. Après tout, c’est pas comme si je ne l’avais pas déjà fait… et j’y ai survécu !
Vous l’aurez compris, j’opte pour la troisième solution. Le Rajdhani Express de 22H45 n’a que 15 minutes de retard et j’ai à peine le temps de saisir mes affaires qu’il est déjà parti ! Je cours sur le quai et, à l’aide d’un voyageur, réussis à sauter à l’intérieur malgré le poids de mes bagages ! Après l’avoir remercié chaleureusement, je me mets à la recherche du compartiment des voyageurs sans réservation. Et je tombe sur le contrôleur des billets.
Vous avec quel numéro de lit ?
En fait je n’ai pas de numéro de lit, je cherche la voiture des passagers sans réservation.
Montrez-moi votre billet… Mais, vous n’avez pas le droit d’être dans ce train, il n’y a pas de voiture pour passagers sans réservation.
Quoi ???
Il n’y a que des wagons avec air conditionné et le train est complet ! Je vais être obligé de vous débarquer à la prochaine station, à Patna.
Vous n’allez pas me faire ça !!! Je suis une femme, je voyage seule, vous n’allez pas m’éjecter au milieu de nulle part en pleine nuit ! C’est dangereux ! En plus j’avais un billet pour un train qui devait partir il y a 1H30 et qui a 23H de retard, ce n’est pas de ma faute !
OK, je vous ramène à mon responsable.
Nous traversons tous les wagons du train, jusqu’à celui, tout au bout, réservé aux membres de l’équipage. Le responsable du train n’a pas l’air commode. Et je crois que le contrôleur l’a réveillé. Il ne cesse de me répéter :
Mais pourquoi vous êtes montée dans ce train ?
Je lui raconte mon histoire désespérante et brode autour.
Je ne savais pas qu’il pouvait exister de train sans voiture pour les passagers sans réservation
Mais pourquoi vous êtes montée dans CE train ?
Quand j’ai demandé au bureau des informations quel était le prochain train en partance pour New Jalpaiguri, il m’a indiqué celui-là ! Pourtant il s’avait que je voulais échanger mon billet pour un ordinary ticket !
Mais vous allez dormir où ?
Mais je m’en fiche ! Trouvez-moi un petit coin par terre, c’est là que je comptais dormir de toute façon, sans réservation et avec un train complet !
Il est surpris de ma réponse. Dans le wagon où se situent les lits des membres de l’équipage, il débarrasse l’emplacement du haut des cartons qui l’encombrent.
Puisque vous refusez de descendre, vous allez dormir ici. Par contre vous allez devoir payer la différence. Vous avez 1000 roupies ?
1000 roupies n’ont beau représenter que 15€, il se trouve que je n’ai pas retiré d’argent avant de sauter dans le train, et il ne me reste que… 150 roupies !
Vous allez rire, je vais vous montrer tout ce que j’ai sur moi…
Je vide mes poches. Le contrôleur et son responsable explosent de rire.
C’est bon, je n’ai pas besoin d’argent. Vous faîtes quoi dans la vie ?
J’ai perdu mon emploi…
Racontée comme ça, mon histoire ne pouvait qu’émouvoir celui qui avait, à ce moment-là, droit de vie et de mort sur moi. Il finit par me laisser m’installer, tandis qu’il occupera la couchette du dessous.
Je me réveille comme une fleur à 8H du matin. J’ai entendu des hommes crier pendant la nuit, mais j’ai fait mine de dormir : j’avais trop peur que le responsable du responsable du train ne le force à me jeter dehors… Les cuisiniers sont en train de préparer le petit déjeuner pour les passagers dans la voiture d’à côté, la musique à fond, qu’ils accompagnent en entrechoquant leurs ustensiles de cuisine. Quelle belle ambiance ! Mon « geôlier » est assis sur son matelas.
Bonjour ! Vous avez bien dormi ?
Super et vous ?
Très bien merci ! Vous voulez un tchaï ?
C’est vrai ? J’y ai droit ?
Il me regarde en souriant.
Ca vous dirait de prendre une douche ?
C’est pas vrai !!! C’est possible ?
Oui, il y a une douche dans le compartiment des premières classes.
Un employé se propose de m’y emmener. Il est très fier de me présenter ce qui se passe dans chacun des compartiments. Nous traversons ensemble le train entier. Il ouvre la porte d’une douche et m’explique comment elle fonctionne… jusqu’à ce qu’il estime que cette douche soit indigne de moi, et m’en ouvre une encore plus fonctionnelle ! Il m’attend même pour me raccompagner au compartiment de l’équipage…. des fois que je me perde ??? Là les discussions s’enchaînent avec le responsable du train. Il s’enquiert des étapes de mon voyage, de ma vie en France.
Vous n’avez pas de chapati ? Et vous n’avez pas de thali ? Mais vous mangez quoi ?
Et voilà qu’on me propose un plateau de petit déjeuner ! Je refuse par politesse mais les hommes me forcent à vider mon assiette ! L’ambiance est totalement détendue et mes hôtes particulièrement heureux de sauver la vie d’une occidentale à bord !
Mais bien sûr, tout service en Inde n’est jamais totalement gratuit, et l’amitié est impossible entre un homme et une femme… Le responsable finit par me dire qu’il quittera sa femme et ses enfants pour m’épouser !
Mais vous êtes polygames en Inde ?
Non, ouf, je suis sauvée !
Désolée, j’aime trop mon mari et mes enfants pour les quitter.
Oui, j’ai changé de situation maritale à partir du moment où j’ai posé le pied sur le sol indien !
Puis vient la séance de photos. Le responsable du train met son bras autour de mon cou et me fait un bisou sur la joue, ce qui constitue une agression sexuelle en Inde, il faut le savoir ! Et il finit pas me prendre la main… jusqu’à ce que des policiers passent dans le couloir : il prend peur et la lâche immédiatement !
Pour le remercier, je l’invite néanmoins à loger à la maison si jamais il vient un jour en France.
Tu ne m’oublieras pas, hein ?
Je descends du train sans regarder en arrière, presque soulagée que ce trajet pourtant enchanté touche à sa fin…
4 Comments
T as eu du bol sur ce coup la ma belle 🙂
J’adore cette histoire !
[…] climatisée, alors que le train était bondé et que je n’avais pas de billet (voir mon histoire ici). De nombreuses personnes m’ont également invitée chez elles, à dormir ou à dîner, alors que […]
[…] de personnes qui, à l’instar de cet Indien dans le train pour New Jalpaiguri (lire l’histoire ici), m’ont, sinon sauvé la vie, du moins ôté une épine du pied. Voici quelques anecdotes pour […]