Kachgar surprend ! Alors même qu’on vient de rencontrer les premiers militaires chinois au poste frontière du col de Torugart, qui relie le Kirghizistan à la Chine, la ville de Kachgar, dans la province du Xinjiang, ne ressemble en aucun cas à ce qu’on pourrait imaginer du pays de Mao Zedong. En quoi et pourquoi ?

Le Xinjiang, c’est pas vraiment la Chine

La première vision qu’on a de Kachgar, c’est celle de ses bâtiments rectangulaires en pierre sur un étage, similaires aux maisons iraniennes. La deuxième découverte qui surprend, ce sont les Ouïgoures, confortablement installées sur des scooters… électriques ! Un grand pas pour l’environnement, mais un danger permanent pour les piétons : s’il existe des passages pour piéton, l’absence de feux tricolores dispense les véhicules de s’arrêter, et j’ai plusieurs fois manqué de me faire renverser par un bolide sans bruit ! Et puis c’est fou le nombre de cabinets de dentistes qui se succèdent dans les rues ! Nombreuses sont les femmes qui portent des dents dorées.

Le Xinjiang, au Nord-Ouest de la Chine, est l’avant-dernière province intégrée à la Chine dans les années 50, avant le Tibet. On est en droit de se demander si cette intégration est légitime : la région est en effet essentiellement peuplée d’Ouïgours, une minorité ethnique plus proche des Ouzbeks que des Chinois, et ce dans tous les domaines : faciès, religion, nourriture, architecture, musique,… Cette intégration ne s’est pas faite sans heurt, les derniers événements sanglants opposant Ouïgours et Chinois Han datent de 2009 et les dernières échauffourées ont eut lieu il y a à peine quelques semaines. Il semblerait qu’il y ait toujours de la discrimination concernant les embauches, mais au moins, les Ouïgours peuvent continuer de vivre selon leur culture.

Physiquement, les Ouïgours ressemblent plus à des habitants d’Asie Centrale qu’à des Chinois. Les yeux bridés leur font défaut : on en trouve plus dans le Kirghizistan voisin qu’au Xinjiang. Certains comme Abdul, qui nous a accompagnés à la frontière, ont un faciès turc et un teint halé. Il nous soutient néanmoins que les Ouïgours ont plus de points communs avec les Ouzbeks, en ce qui concerne les tenues vestimentaires par exemple. Les hommes portent tous le chapeau caractéristique des Ouïgours et des Ouzbeks. Les femmes se couvrent comme dans les pays arabes : un foulard cache leurs cheveux ou un voile marron recouvre entièrement leur visage (on se demande d’ailleurs comme elles font pour marcher dans la rue sans rien percuter ! Et quand elles ne se déplacent pas, il faut les regarder à deux fois avant de distinguer l’avant de l’arrière de leur corps !). Elles portent des jupes longues ou une tunique par-dessus leurs leggings. Il existe un motif qui leur est propre et qu’on retrouve sur leurs robes et leurs foulards.

Il est 18H dans l’un des nombreux souterrains où se jouxtent des centaines de magasins de vêtements de 4m². A l’appel du muezzin, alors même que les magasins de vêtements sont ouverts et que les femmes sont en plein shopping, toute activité cesse : en plein milieu de ces lieux public, tous les musulmans pratiquants sortent leurs tapis de prière et se prosternent en direction du nord. J’ai observé la même effervescence dans les bus à couchettes, où les voyageurs demandent au chauffeur des tapis de prière avant de s’installer et de chanter. Contrairement aux Chinois Han, majoritairement bouddhistes non pratiquants depuis la révolution culturelle, les Ouïgours sont musulmans sans être arabe, bien que de nombreuses coutumes nous rappellent les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Par exemple, il suffit de déambuler dans les rues de la vieille ville de Kachgar pour tomber sur l’un des nombreux stands de viande à l’air libre, devant lequel trône comme un trophée le cadavre d’un mouton, sa laine, ses tripes, sa tête, ses pattes, son sang,… Où que vous vous trouviez dans la vielle ville, les rues sont remplies de son fumet ! Toute la journée, mais surtout le soir, les chalands se succèdent sur les bancs des nombreux stands de brochettes, poulet au riz, soupe à la viande de mouton que les restaurateurs proposent dans la rue.

Les rues font parfois penser à un immense bazar organisé. Chaque portion, à Kachgar et à Hotan, est occupée par une succession de magasins du même type : stands de chapeaux, bijouteries, meubles en bois, objets de cuivre, sans oublier les souterrains peuplés de magasins de vêtements et d’accessoires féminins.

Enfin, et c’est probablement le plus important, la gentillesse et l’hospitalité des Ouïgours sont légendaires. Si elles ont tendance à disparaître dans les grandes villes comme Hotan et Kachgar, elles restent omniprésentes dans les petites villes comme Yarkand, également située sur la route de la soie méridionale. Ainsi dans le bus, alors qu’un couple de petits vieux partage avec moi ses fruits séchés, un jeune homme jette (littéralement) une bouteille de jus de fruits sur mes genoux, sa façon apparemment subtile d’offrir un cadeau ! Plus tard, un Ouïgour qui ne parle pas un mot d’anglais me guidera dans toutes les ruelles intéressantes de la ville, avant de me raccompagner à bon port à la gare routière !

Pourtant, les Chinois sont, d’une certaine façon, omniprésents

Déjà, même s’ils sont en minorité, les Chinois Han peuplent également Kachgar, moins la route de la soie méridionale (Yarkand et Hotan pour ne citer que ces villes): ils sont rares à traverser la route avec leur attaché-case, ils sont plus nombreux dans les services de police et militaires, mais là où on en rencontre surtout, c’est dans les auberges de jeunesse où ils jouent les touristes.

Ensuite, tous les panneaux sont écrits en ouïgour (alphabet arabe) et en chinois. D’ailleurs la majorité des localités sont constituées d’une vieille ville ouïgoure et d’une périphérie moderne chinoise à 100% dans l’architecture de ses bâtiments.

Il n’y a que les Chinois pour affubler les magnifiques bâtiments en pierre de la vieille ville de néons et de panneaux lumineux dynamiques !

Le gouvernement chinois se targue également un peu partout d’avoir modernisé la ville de Kachgar et apporté son soutien financier à la rénovation et la classification des bâtiments historiques. On peut parfois juger cette rénovation maladroite, comme celle de la mosquée Id Kah, dont les peintures jaunes et vertes n’ont plus rien d’époque.

Une chanson patriotique résonne dès 7H30 du matin.

D’où vient la musique ?

D’une école.

Une école ouïgoure ou chinoise ?

Ouïgoure.

Et effectivement, à 7H30 du matin, les petits Ouïgours n’ont pas encore débuté les cours : certains courent en uniforme, en rang d’oignon, par classe, tout autour de la cour, avant de regagner leur bâtiment. Pendant ce temps, d’autres portent et agitent le drapeau chinois.

Enfin, je n’imagine pas les Ouïgours décider de dresser une immense statue de Mao Zedong en plein centre ville de Kachgar !