Les Niyamgiri Hills sont un paradis pour qui fuit le bruit, la pollution des villes, et la chaleur du mois d’avril. Celui qui ose s’écarter des circuits touristiques traditionnels et passer de longues heures dans les trains qui desservent mal les villes de l’Orissa sera époustouflé par ses magnifiques paysages de collines boisées qui entourent des lacs.
Mais surtout, ces collines restent l’habitat naturel de nombreuses tribus primitives de l’Inde, comme les Bondas ou les Kondhs. L’Orissa est en effet l’une des provinces les plus pauvres du pays, mais aussi l’une des plus riches en matière de culture tribale, hôte de pas moins de 62 tribus dont les membres représentent 24% de la population totale de l’état. Partons à la découverte de ces villageois accueillants qui tentent tant bien que mal de garder vivantes leurs traditions.
Le marché
Les marchés d’Onkadelli, de Podagada et de Baipariguda sont l’occasion de partager le quotidien des tribus dans ce qui représente leur source de revenus : le troc et le commerce. Ils ont lieu le même jour chaque semaine : le mercredi pour Podagada, le jeudi pour Onkadelli, le vendredi pour Baipariguda. Assises par terre, les femmes des tribus vendent les fruits et légumes qu’elles ont cueillis dans la forêt et qu’elles étalent devant elles : tomates, concombres, aubergines, haricots, choux-fleurs. Des balances à deux plateaux et des poids leur permettent de définir le coût de leur production. Mais le troc est toujours pratiqué. Ainsi il n’est pas rare de voir deux commerçantes peser haricots et tomates dans chacun des plateaux et d’échanger ainsi leur marchandise. Ces marchés sont également investis par les Indiennes qui vendent essentiellement des bijoux, et par les Indiens qui gèrent des étals de saris. C’est ainsi que s’approvisionnent les membres des tribus.
Ce qui fait la spécificité de ces marchés, particulièrement celui d’Onkadelli, ce sont les tribus qui le fréquentent : les Paradjas, les Malis, les Gadabas, les Bhatras et le peuple primitif des Bondas. C’est à l’accoutrement et aux ornements des femmes qu’on reconnaît leur tribu d’appartenance. Les Paradjas et les Malis portent un à trois anneaux dans le nez (en fonction de leur statut social), un sari plus court, dans un tissu moins recherché que celui des Indiennes, qu’elles nouent sur l’épaule, et des tatouages faits avec une aiguille. On différencie les Paradjas des Malis par l’épaule sur laquelle elles nouent leur sari et les endroits qu’elles tatouent. Les femmes Gadabas portent deux énormes colliers de métal qui pèsent bien 5kg ! Un trou est percé au centre de leurs oreilles pour y passer deux immenses bouclent qu’elles sont obligées de relever et de plaquer contre leur tête pour pouvoir dormir.
Les Bondas, eux, vivent dans une trentaine de villages de 4 ou 5 foyers, situés à 14km d’Onkadelli, et viennent à pied au marché tous les jeudis, entre 9H et 11H. La légende raconte que Sita, une déesse hindoue, se lavant nue dans la rivière, sans maquillage et les cheveux ébouriffés, fut surprise et moquée par des Bondas. Vexée, elle les maudit : ils resteraient laids et nus pour toujours ! Les femmes Bondas, fines et petites, ne protègent leurs parties intimes du regard des autres que depuis peu. Leur accoutrement reste néanmoins léger : un court paréo de tissu couvre leur pubis et à peine leurs fesses. Elles ne portent aucun vêtement pour couvrir leur torse, mais leurs seins sont cachés par une multitude de longs colliers de perles et de corail. Ce sont ces mêmes colliers qu’elles clipsent autour de leur tête en forme de turban. Les bijoux qu’elles portent témoignent de leur richesse, surtout le nombre de colliers en métal qui entourent leur cou. Elles percent également leurs oreilles de nombreux trous, desquels pendent d’énormes anneaux. Elles vivent de cueillette et ce sont elles qui travaillent dur dans le couple. Les hommes Bondas se départissent rarement de leurs arcs et de leurs flèches, qu’ils vendent en partie au marché d’Onkadelli. Ces armes leur servent à se protéger des bêtes féroces, mais aussi à s’entretuer. Une anecdote racontée par notre guide, un père aurait pris de l’huile de palme sur un arbre appartenant à son fils, et ce vol se serait soldé par un combat à mort entre les deux hommes.
Assis sur un rocher au bord d’un petit cours d’eau, nous observons les allers et venues des Bondas, qui traversent la rivière en passant de pierre en pierre, le fruit de leur labeur dans d’énormes paniers que les femmes transportent sur leur tête. Deux d’entre elles s’arrêtent près de nous et nous proposent de l’alcool de palmier. Il s’agit de la sève des branches d’arbres, qu’elles laissent couler dans un pot, et que les Bondas boivent à l’aide d’une énorme cuillère (appelée anuka) une fois le liquide fermenté. Les femmes procèdent à deux récoltes par jour, celle de l’après-midi étant bien plus fortement alcoolisée que celle du matin. L’anuka est une petite merveille de technologie : le récipient de l’instrument est trempé dans le pot contenant l’alcool de palme, puis un filtre constitué de fibres empêche les sédiments de passer dans le tube et d’atteindre la bouche. La tradition veut que l’on verse un peu de cet alcool par terre, en offrande aux dieux, avant de le boire sans que les lèvres n’en touchent l’embout. L’alcool de palmier a un goût de petit lait fermenté, plutôt agréable. Et les femmes Bondas ont une sacrée descente ! L’alcoolisme est un fléau courant chez les Bondas, qui sèvrent leurs enfants à l’alcool de palmier dès leur naissance ! Il n’est pas surprenant que les membres de cette tribu, une fois imbibés, deviennent agressifs. A les voir avec un arc et des flèches en main, on a du mal à se sentir en sécurité…
Une autre tribu que nous ne rencontrerons pas, les Kondhs, pouvaient autrefois se révéler encore plus dangereux : ils pratiquaient le sacrifice humain ! En général, ils offraient à leurs dieux le corps d’un jeune homme vigoureux, capturé sur leurs terres, et non un membre de leur village. Aujourd’hui heureusement, les hommes ont été remplacés par des animaux, mais la pratique du sacrifice vivant subsiste.
Les maisons
Certaines tribus ne peuvent se rencontrer que dans leurs villages, car le troc et le commerce ne font pas partie de leur mode de vie. C’est le cas des Bhumias, qui travaillent dans leurs champs ou sont employés dans ceux des autres, et pour qui l’horticulture ne sert qu’aux besoins personnels.
A Chandanpur, une femme est en train de polir le pallier de sa porte à l’aide d’un chiffon imbibé de couleur noire. Ce village, ainsi que celui de Ganiput, peuplé de Bhumias, arbore de magnifiques maisons de torchis coloré. Elles sont peintes à l’aide de poudre de couleur ocre, que les villageois peuvent à l’envie transformer en bleu ou en noir grâce à des colorants naturels. Ils ne se contentent pas de peindre leurs murs d’une seule couleur, mais adoptent des combinaisons de coloris qui font de leurs demeures un enchantement pour les yeux ! Saluons leur courage: il leur faut recommencer à chaque fois que la pluie dissout la peinture !
Si le côté esthétique surprend le visiteur, les techniques utilisées pour rendre ces maisons propices à une meilleure vie dans ces conditions climatiques époustoufle. Sous les toits de paille bas, assis sur les murets à l’ombre, le sol reste étonnamment froid malgré une insupportable chaleur en cet après-midi d’avril. Les tribus sont capables, par la superposition de deux couches de toit, à maintenir à l’intérieur de leur demeure la fraîcheur de la nuit.
Certaines maisons arborent des peintures ou des photos de dieux hindous. A l’origine animistes, ces tribus peu éduquées sont tombées sous le courroux des missionnaires chrétiens ou hindous, qui ont joué de malice pour les convertir à leur religion. Par exemple les missionnaires chrétiens auraient fourni aux villageois de faux médicaments pour les soigner et les auraient exhortés à prier Dieu pour leur salut. Voyant que la médecine moderne n’avait aucun effet, les villageois auraient réellement commencé à invoquer Dieu pour leur survie, et les missionnaires auraient alors troqué leurs contrefaçons pour des pilules efficaces, ce qui aurait poussé les tribus à croire dans leurs discours religieux. Ces méthodes de conversion auraient d’ailleurs conduit à des conflits entre chrétiens et hindous en Orissa. Il n’y a malheureusement pas que les religieux qui pervertissent les tribus. Les hommes politiques profitent du manque d’éducation de ces villageois pour les corrompre afin de récupérer leurs votes.
La vie des villages est simple et paisible. Les routes et les voitures disparaissent pour laisser place à des petits chemins de terre qui serpentent au milieu des maisons en torchis coloré. Les enfants jouent avec une balle, les femmes cuisinent ou entretiennent leur maison. Quelle propreté en comparaison des autres villages indiens ! Parfois elles décident d’aller travailler dans les champs et laissent leurs hommes s’occuper des enfants !
Ces petits villages sont bien souvent situés dans un cadre idyllique, comme le charmant petit village de Janiguda, duquel on sort par de petits chemins de terre qui mènent aux rizières et à un joli lac entouré de collines. Si vous êtes chanceux, des garçons en canoë vous emmèneront peut-être sur l’autre rive ?
Le mariage
Dans le village de Ganiput, peuplé de Bhumias, les villageois préparent un mariage ! Le fils d’une famille, âgé de 17 ans, est déjà parti chercher sa future épouse de 15 ans dans son village. Pendant ce temps, les membres de sa tribu s’affairent à la décoration pour faire de cette cérémonie un enchantement pour les yeux. Le tréteau est dressé et orné de rideaux rouges parsemés de fils d’argent. La famille du marié prépare des corbeilles de fleurs. Sur la terrasse d’une autre maison, trois hommes confectionnent de magnifiques fleurs en feuilles de dattier, qui orneront les cheveux des futurs époux. Un orchestre composé de joueurs d’instruments traditionnels répète non loin de là. Et les enfants dansent devant d’énormes haut-parleurs, au son des morceaux en vogue dans les boîtes de nuits indiennes. Les villageois nous proposent de participer à la cérémonie le soir même, mais nous sommes malheureusement obligées de décliner leur offre.
En Inde, l’âge légal du mariage pour une femme est de 18 ans, et de 21 ans pour les hommes. Dans les faits, cette loi n’est pas respectée. Les hommes ont entre 17 et 25 ans lorsqu’ils s’unissent à leur compagne, qui elle a au minimum 13 ans. Pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée ?
A partir du moment où les familles ne portent pas plainte, les forces de l’ordre ne s’y opposent pas.
Dans les tribus, variées sont les coutumes maritales. Comme dans le reste de l’Inde, l’amour peut être la raison des unions, ou celles-ci sont arrangées par les familles. Parfois, le futur marié est « acheté » par la famille de la fille, et dans ce cas-là uniquement c’est l’homme qui vient vivre dans le village de sa femme. Une autre coutume veut que la femme soit capturée et séquestrée par l’homme intéressé ! Cette pratique a en général lieu pendant les jours de marché ou lors des festivals. L’homme attire sa victime près de sa maison, la saisit par le poignet et l’enferme chez lui, pendant deux à trois semaines, pendant lesquelles aucune relation charnelle n’aura lieu. La famille de la fille, parfois même son petit ami ou son mari (!) bénéficient de ce laps de temps pour délivrer la captive. S’ils y arrivent, ils la récupèrent et son agresseur n’a plus le droit de tenter de l’attraper à nouveau. S’ils échouent, la femme appartient à son ravisseur et le mariage, même contraint, ne peut plus être évité. Il n’y a que quand la femme est déjà mariée qu’elle a le choix entre retrouver son époux ou rester avec son ravisseur.
Ces tribus luttent néanmoins pour préserver toutes leurs traditions. Ainsi en 2008, la tribu des Dongria Kondhs a lutté contre un projet d’ouverture d’une mine de bauxite par la société Vedanta, qui aurait eu pour conséquence de détruire à jamais une partie de leur territoire sacré. Heureusement le ministre indien de l’environnement et des forêts leur a donné raison, au seul motif que ce projet aurait sérieusement violé les droits des populations locales et la loi de protection des forêts.
Est-ce parce que l’Orissa est mal desservie ? Ou parce que les tour opérateurs tentent tant bien que mal de préserver les tribus du tourisme de masse ? Toujours est-il que le tourisme de l’Orissa est très peu développé : cette province accueille moins d’1% des touristes étrangers chaque année… et c’est tant mieux !
En savoir plus
Comment ces tribus sont-elles rémunérées pour l’accueil des touristes ?
Selon notre guide, les méthodes diffèrent. Certains tour opérateurs versent de l’argent aux tribus lors de la venue des groupes. Certains guides tentent néanmoins de créer des relations plus personnelles avec ces villageois. Ils les rencontrent plusieurs fois et développent des liens d’amitié avant de demander au chef du village s’ils peuvent y emmener des touristes. Ils réalisent des dons de façon régulière mais indépendamment des visites, et apportent biscuits et friandises de la ville.
Les Bondas sont la seule tribu où les femmes épousent des hommes plus jeunes qu’elles.
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