Les Indiens l’appellent affectueusement Amma, ce qui signifie « maman » en malayalam, la langue du Kerala, d’où elle est originaire. Les occidentaux la surnomment à juste titre « Hugging Mama », la maman qui fait des câlins. De son vrai nom Matha Amrithanandamayi, cette sexagénaire réalisait depuis toute petite des actions de solidarité qui la destinaient à devenir une belle femme, au sens moral du terme.

Très tôt, Amma est repérée pour sa dévotion aux dieux hindous et sa capacité à entrer en méditation. Elle écrit des chansons à la gloire de Shiva et de ses compères. Issue d’une famille pauvre, elle est contrainte de mendier pour se nourrir. A la rencontre du monde, elle réalise que malgré sa situation précaire, elle n’est pas la plus à plaindre, et n’hésite pas, malgré les réprimandes de ses parents, à fournir ses propres vêtements et sa nourriture à tous ceux qu’elle considère comme plus pauvres qu’elle ! Elle perd sa mère à l’âge de 9 ans et entreprend alors d’élever ses 7 frères et sœurs. Mais le don de sa personne ne s’arrête pas à sa famille. Face aux atrocités que subissent les gens malheureux qu’elle rencontre dans la rue, Amma les console en les prenant simplement dans ses bras. C’est cette étreinte, gratuite, facile et empreinte d’empathie, qui fera sa renommée dans le monde entier.

Bien sûr, le mouvement d’Amma a pris de l’ampleur. Elle peut se targuer d’avoir apporté sa contribution financière et personnelle aux victimes des plus grandes catastrophes naturelles de la planète : les sans-logis du Japon, de l’Inde et d’Hawaï suite aux tsunamis, les enfants sans éducation d’Afrique, où ses dons ont permis de bâtir des écoles. Elle a également contribué à la construction de lotissements décents dans le Kerala. Bien sûr, ces pauvres âmes qui ont perdu leurs biens et parfois leurs proches bénéficient de l’étreinte de la Mère. Ils sont bien nombreux à épancher leur douleur sur son épaule et malgré sa bonhomie, Amma ne peut s’empêcher de s’émouvoir de toute la misère dont elle est témoin.

Depuis mars, elle a quitté son ashram rose, situé en plein milieu des Backwaters, à mi-chemin entre Alleppey et Kollam, où la suivent quotidiennement 2000 adeptes de tous pays et de toutes religions. Comme cette Américaine qui vit à l’ashram depuis 20 ans. Amma y accueille jusqu’à 4000 personnes à la haute saison. En son absence, seuls des cours de yoga sont donnés aux femmes, mais d’habitude, yoga et méditation sont suivis intensément (dès 5H45 du matin !) par tous ses adeptes. La gourou a débuté son voyage annuel à Singapour, puis elle est revenue en Inde où elle donnera ses darshan (bénédictions) dans un certain nombre de villes avant de s’envoler pour l’Europe et les Etats-Unis. Les darshan d’Amma, ce sont ses étreintes.

En ce 30 avril, elle officie dans l’un de ses ashrams à Ernakulum, près de Cochin. Cet immense complexe accueille aujourd’hui des milliers d’adeptes et toutes les infrastructures sont mises en place pour leur confort : agents de sécurité, bureau d’information, stands de nourriture et de jus de fruits, stands de médecine ayurvédique, jetons pour recevoir les fameux câlins de la gourou, écran géant, et derrière la scène, ornée de rideaux oranges, jaunes et de fleurs, se situe même un bâtiment où sont accueillis les étrangers. A mon arrivée à 8H, les dévots hindous sont en train de réaliser leur puja (offrande) au son des chants du prêtre. Ils sont des milliers, assis en rang sur des chaises en plastique, leur offrande sur une chaise face à eux, un panier contenant fleurs et bougies. A la fin ils se lèvent leur panier sur la tête. Le puja est suivi par les 1000 mantras de l’hindouisme, récités par 4 chanteurs sur l’estrade, dont un « blanc ». Je suis assise devant la scène, au milieu des adeptes occidentaux vêtus d’une robe et d’une étole blanches, comme Amma, leur guide spirituel. Les Indiens récitent les mantras par cœur, les occidentaux les lisent sur un livret où les textes sont écrits en phonétique spécialement pour eux. Certains sont d’astreinte: agents de sécurité, preneurs de son ou à la régie.

A 10H, Amma arrive enfin, accompagnée par quelques adeptes occidentaux et un petit enfant espiègle, de 3 ans environ, aux cheveux blonds, longs et bouclés. Une femme visiblement informée nous explique que la vieille femme s’est prise d’affection pour ce petit garçon, dont la mère vit à l’ashram, et qu’il s’amuse tellement avec elle qu’il ne veut plus la quitter ! A-t-elle trouvé une belle âme dans cet enfant pour l’emmener ainsi partout avec elle ? Alors que nous sommes debout pour l’accueillir, Amma s’installe dans la position du lotus sur l’estrade, au milieu de son orchestre, composé de musiciens aux instruments hindous traditionnels, et commence à chanter. Elle est visiblement habitée par la musique, son visage aux yeux fermés arbore une moue affectée et elle lance régulièrement ses mains vers le ciel comme pour appeler les dieux à descendre sur terre. Indiens et occidentaux connaissent ses chants par cœur. A mes côtés, les femmes occidentales entrent en transe, balancent leur tête comme habitées par les chants, ou sourient béatement.

Au bout d’une heure, Amma commence son satsang, en malayalam. Un powerpoint projeté sur l’écran géant de la scène retransmet ses enseignements en anglais. Elle illustre ses nombreux adages d’anecdotes tantôt sordides, tantôt hilarantes. Comme celle du chien savant qui avait la capacité d’acheter de la nourriture en se faisant comprendre par ses pattes et ses aboiements, et que son maître critiquait parce qu’il oubliait les clés de la maison. Les propos de la gourou restent néanmoins empreints d’hindouisme.

Nombreuses sont les personnes qui me font remarquer que les conflits se multiplient. Pourquoi cela ? Il nous est difficile de vivre avec les autres parce qu’on ne les voit pas tels qu’ils sont vraiment. Nous attendons trop des gens. Ce n’est pas un défaut à eux, mais le nôtre : il s’appelle l’inacceptation.

Aujourd’hui nombreux sont ceux qui vivent comme des machines, qui ne prêtent plus attention à ce qui se passe autour d’eux. Pourtant ce n’est qu’en écoutant qu’on peut répondre de manière appropriée. Ecouter avec ses oreilles ne suffit pas à comprendre. Nous devons écouter avec nos yeux et notre cœur. Nous l’oublions parce que nous sommes trop préoccupés par notre travail et nos tâches quotidiennes, et ce manque d’attention cause de la peine à nos proches. Nous ne pouvons progresser dans ce domaine que si nous faisons preuve de patience, de compréhension, et si nous savons pardonner. En retour, cela nous aidera à trouver la divinité qui est en nous.

Si nous voulons aider quelqu’un à grandir et se développer spirituellement, nous devons apprendre à récompenser le bon en lui, et le corriger avec amour. L’égoïsme ne nous apporte que du mauvais karma. Souvenez-vous toujours que vos actions sont supposées procurer le bonheur autour de vous. Rappelez-vous toujours qu’une main invisible vous guide.

Le satsang est suivi d’un moment de méditation en malayalam. Tous les adeptes ont les yeux fermés, avant de se lever, joignant leurs mains au-dessus de leur tête et tournant sur eux-mêmes.

Dessin Amma

Puis débutent les darshan. Malgré mon arrivée matinale, comme les adeptes de longue date et les Indiens sont prioritaires, je ne suis que dans le groupe ZF, comprenez le 2ème alphabet. J’ai bon espoir de ne pas patienter plus de 2 heures car les lettres A, B et C passent plutôt vite. Mais ces groupes sont visiblement de petite taille car une heure plus tard, la file d’attente en est toujours à la lettre H. La veille, Amma avait étreint ses adeptes jusqu’à 2H du matin ! Et j’ai un train à prendre… J’en profite pour parler avec une Allemande, qui a entretenu une relation étroite avec sa gourou : arrivée dans son ashram pour une durée de 3 semaines, elle y restera finalement… 4 mois ! Qu’est-ce qui s’est passé ?

C’est difficile à dire… Quand tu te sens bien quelque part, tu n’as qu’une envie, c’est de rester, non ? Et bien là c’était un peu pareil. Je ne savais pas trop ce que je cherchais à l’époque. Une illumination ne s’explique pas : on la ressent quand elle est là, mais on ne peut pas l’anticiper.

Je lui raconte que je n’aurais peut-être pas la chance de jouir de l’étreinte d’Amma.

Tu es étrangère, va voir les adeptes et demande à passer plus tôt ! Surtout tente l’impossible, cette rencontre va peut-être changer ta vie !

Forte de cette révélation, je m’en vais quérir les gens en blanc. J’explique ma situation à la jeune fille qui vérifie les tickets et, chance, elle me laisse passer dans la queue des M ! Les adeptes au service d’Amma nous épongent le visage pour éviter que notre sueur, en cette après-midi de forte chaleur, ne souille leur guide. On me demande ma nationalité, je réponds française. Et d’entendre les adeptes qui se passent le mot : « French » « French » « French ». Ils sont nombreux à aider la foule à avancer et à trouver le chemin de la sortie, pour que les dévots ne passent pas trop de temps dans les bras d’Amma. D’où je suis, la distribution des étreintes ressemble un peu à un montage à la chaîne. La Mère applique fermement la tête des Indiens sur son épaule avant de les embrasser, tout en donnant des indications aux membres de son équipe autour d’elle.

Quand vient mon tour, une adepte m’explique que je dois poser ma tête à gauche du corps d’Amma, entre son épaule et son sein. La grosse dame me saisit le crâne et l’applique fermement mais en douceur sur son épaule, de façon un peu mécanique, avant de me repousser. Lorsqu’un adepte lui murmure « French » à l’oreille, elle saisit ma tête à nouveau de sa main puissante et son étreinte se fait plus intense, alors qu’elle me susurre à l’oreille, en français :

Ma chérie ! Ma chérie !

C’est qu’Amma a un faible pour les Français ! Elle parle ma langue maternelle couramment, possède des ashrams en France, et une amie m’avait déjà raconté avoir bénéficié d’un statut privilégié grâce à sa nationalité. Et effectivement, les adeptes m’indiquent qu’Amma m’accorde l’immense honneur de siéger à ses côtés sur l’estrade ! On me fait monter sur une chaise en plastique puis rejoindre la Mère pour méditer. J’en profite pour observer de plus près l’attitude des gens qui m’entourent. Amma a abandonné sa moue affectée pour un énorme sourire et des yeux pétillants. Mais encore plus poignant que le visage de la gourou est celui des Indiens qui rejoignent ses bras : je lis sur leur faciès heureux une affection et un amour sans borne pour cette femme qui a tant fait pour leur communauté.

Amma est résolument ce qu’on peut appeler une belle personne. Ses adeptes rêvent qu’elle obtienne un jour le Prix Nobel de la Paix. Dans tous les cas, s’il vous est donné un jour l’opportunité d’expérimenter son étreinte, ne ratez pas cette belle occasion. Un Californien qui se targue d’avoir reçu au moins 50 câlins de la Mère m’a affirmé que les étreintes s’ajoutent les unes aux autres et que la 50ème est beaucoup plus intense que la première. Ma rencontre physique avec Amma n’aura pas changé ma vie comme celle d’autres personnes, mais elle aura renforcé mon envie de me mettre au service des autres.