Il est 5H du matin quand j’embarque dans le train pour Ajmer, au Rajasthan. Le sol de la gare d’Agra fait office de lit pour de nombreux voyageurs de nuit ou de sans-abri, je ne sais pas trop. Les voyageurs à moitié endormis traversent lentement les plateformes au son incessant des annonces des arrivées des trains, malgré la limitation du trafic alors que le soleil n’a pas encore daigné nous baigner de l’un de ses rayons. Dans mon compartiment embarquent deux fois deux hommes qui ne peuvent s’empêcher de cracher à tout va, et deux femmes vêtues de saris. Voyant que je suis trop empotée pour fermer une fenêtre, ils se succèdent pour m’aider. Je m’endors les écouteurs dans les oreilles, un foulard autour des yeux, une couverture sur le dos…

Je me réveille trois heures plus tard pour me rendre compte qu’avec le lever du soleil, une ville a poussé dans cet espace confiné qu’est le wagon ! Avec la cohue, on se croirait dans Delhi sans les klaxons ! Mes compagnons de la première heure et moi avons été rejoints par des centaines de voyageurs et les sièges de trois personnes sont devenus insuffisants pour tous nous contenir. Chaque fauteuil accueille à présent quatre passagers et les allées du wagon sont prises d’assaut comme le RER A un jour de semaine à 8H… sauf que ce trajet dure 6H30 !

Devant moi, 3 hommes dorment encore pendant qu’une jolie petite fille baisse les yeux à chaque fois qu’elle croise mon regard. A ma droite, deux femmes discutent et envoient des textos. Un homme lit son journal et en prête quelques feuilles aux garçons debout derrière lui tandis que d’autres lisent par-dessus son épaule. Les sièges d’à côté sont peuplés de six hommes qui ont dressé un journal entre eux pour pouvoir jouer aux cartes, sous l’œil amusé des garçons qui participent à l’ambiance générale, debout derrière eux. La porte du wagon est ouverte, un vieux monsieur est assis sur le mur qui longe le fauteuil d’en face. Un vieil aveugle traverse le milieu du wagon avec son bâton pour mendier quelques pièces. Un autre passe avec un seau et propose du tchaï (thé). Il règne dans ce wagon un joyeux tohu-bohu qui rend étrange mon sommeil de 3 heures ! Il y a une telle interaction entre les passagers que je me demande s’ils se connaissent. Dans tous les cas, pas de place pour l’intimité !

Passé Jaipur, le brouhaha se dissipe peu à peu, au fur et à mesure que les passagers atteignent leur destination, bien avant le terminus. La petite fille descend du train accompagnée de son père. Le trajet l’a peu à peu désinhibée : quand elle me dit au revoir de sa petite main, elle sourit et me laisse découvrir des dents d’un blanc immaculé en comparaison de sa peau mat. Quatre joueurs de cartes bruyants ont quitté le wagon et les deux qui restent se muent dans le silence qu’ils affectaient au départ du train. Il est midi quand j’arrive à Pushkar, et la ville du train s’est endormie…