Passer des rues sales, bondées et bruyantes d’Amritsar au sanctuaire du Temple d’Or vénéré par les sikhs, il n’y a à la fois qu’un pas et tout un monde. Vous pénétrez dans le sanctuaire les pieds nus et lavés, la tête couverte d’un foulard. Quelques pas plus loin, avant même de descendre les escaliers, l’apparition de cette bâtisse couverte d’or véritable, flottant sur l’eau, vous estomaque. A côté de vous, les pèlerins sikhs joignent les mains en prière puis s’agenouillent jusqu’à caresser le sol de marbre de leur front. Ce geste, ils le répèteront maintes fois : autour et à l’intérieur du temple, dès leur entrée, jusqu’à leur sortie.
Vous suivez alors ces pèlerins dans leur promenade lente autour des eaux sacrées qui les séparent du Hari Mandir Sahib en question. Les hommes sikhs sont facilement reconnaissables à leur barbe, leur moustache et leur turban. Les femmes rivalisent de beauté dans leurs saris et leurs shalwar kameez. Les pèlerins traversent des océans pour se rendre dans ce haut lieu de culte sikh. J’en ai rencontré du Canada et des Etats-Unis, où les communautés semblent rassembler un nombre important de religieux. C’est le chant monotone des prêtres, retransmis par les haut-parleurs, qui rythme les marches. Sous les voûtes des enceintes du sanctuaire, certains vieux pèlerins se reposent ou méditent en tailleur pendant des heures. Il y règne une odeur forte et indescriptible qui n’appartient qu’à eux. Les hommes se dénudent avant de se baigner dans les eaux sacrées, tandis que les femmes le font entre des murs, à l’abri des regards. Il règne une telle sérénité dans cette enceinte, les klaxons de la ville toute proche ne parviennent même plus à vos oreilles ! Sur le chemin trônent quelques objets relatifs à de grands personnages sikhs, comme le tombeau de Baba Ji, ce guerrier qui, pour sauver son gourou, a continué à se battre alors que l’ennemi venait de lui couper la tête !
Traversez le pont qui mène au temple d’or. La ferveur qui règne à l’intérieur est encore plus palpable. Les pèlerins jouent des coudes pour s’agenouiller devant les prêtres et musiciens sikhs, avant de leur jeter des billets de banque. Dans tous les coins, il s’agit de slalomer entre les religieux qui se courbent et s’assoient en tailleur un peu partout, en murmurant des prières un livre à la main. Chaque marche d’escalier, chaque passant de porte, ils le caressent de la main avant de la porter à leurs yeux, leurs oreilles, leur front, leur bouche ou leur cœur. Le tout dans un décor riche : des murs couverts d’or et d’inscriptions et des autels submergés de fleurs.
Navrose est spécialement revenu des Etats-Unis pour effectuer ce pèlerinage avec sa mère Sandy.
Tu viens souvent ici ?
Je ne suis pas revenu depuis 7 ans, quand j’ai déménagé aux Etats-Unis. Mais avant je venais régulièrement. Avec ma mère, nous allons également nous rendre à Patna, où se trouve l’un des 4 autres temples sacrés pour les sikhs.
Pourquoi vous vous courbez sans arrêt pour toucher le sol de votre front ou les marches de votre main ?
C’est un signe d’humilité, une façon de vénérer Dieu qui se trouve au-dessus de nous.
Quel est le principe de ta religion ?
Le sikhisme est la religion la plus jeune, elle ne date que de 500 ans. Nous nous distinguons de l’hindouisme en ne vénérant qu’un seul dieu. Et ce dieu, nous pouvons lui donner n’importe quel nom : Allah, Jésus, ça n’a aucune importance. En cela, nous nous différencions de l’islam et du christianisme. Nous pratiquons la tolérance à l’égard de tous. D’ailleurs tous les visiteurs sont les bienvenus dans nos lieux sacrés, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou juifs. Tous les temples sikhs offrent l’asile gratuitement et plus de 200 bénévoles travaillent au nettoyage des sols, à la restauration des murs d’or, au réfectoire pour offrir aux pèlerins et aux autres visiteurs un repas gratuit, 24 heures sur 24. Nous ne cherchons pas à gagner de l’argent.
A la sortie du temple, Navrose et Sandy apposent les mains et le front sur 2 mâts blancs avant d’en faire le tour, la main toujours en contact avec la pierre.
Si tu fais un vœu, il se réalisera, me dit Navrose.
Lui et sa mère m’emmènent au réfectoire, une machine bien rôdée où chacun des bénévoles répète sa tâche tel un automate. Sur le chemin qui mène à la grande salle, le 1er bénévole tend un plateau, le 2ème un bol, le 3ème une cuillère. A l’intérieur, un 4ème fait asseoir les visiteurs par rangées les uns à côté des autres, puis d’autres bénévoles passent dans les rangs pour servir tortillas, purée de lentilles, de pois chiches, de riz, et l’eau. Sandy m’invite à prendre garde de ne prendre que ce que mon estomac pourra ingurgiter : le gaspillage est très mal vu par les sikhs, on peut le comprendre. Le repas ingurgité, nous passons par la « cuisine », une cour en plein air où les bénévoles aplatissent des crêpes et roulent des boules de pâte à la chaîne, avant de rendre nos plateaux aux laveurs de vaisselle.
Après être sortis du sanctuaire et avoir récupéré nos chaussures, Sandy et Navrose m’accompagnent au Jallianwala Bagh. Ce merveilleux jardin, autre havre de paix dans la ville, a été bâti en l’honneur des 2000 Indiens tués sans sommation sous l’ordre du général Dyer, alors qu’ils manifestaient pacifiquement contre l’hégémonie britannique. Le Premier Ministre Britannique y a d’ailleurs mis les pieds à peine un jour avant moi, mais sa venue ne laissera pas un souvenir impérissable : selon mes sources, les Anglais auraient du mal à s’excuser pour le massacre. Durant cette promenade agréable, je rencontre Loki, un pur sikh, qui me « protège » de l’envie incessante des Indiens d’être pris en photo avec une « blanche ».
Est-ce que tu es obligé d’aller au temple ?
Tout dépend de ta ferveur. En général nous prions matin et soir, et nous nous rendons au temple aussi souvent que nous pouvons.
Pourquoi tu portes la barbe et le turban ?
Un véritable sikh a en permanence 5 choses sur lui. La première, ce sont ses poils. Nous ne coupons jamais nos cheveux et ne rasons jamais notre barbe. Tout poil qui se détache de notre corps doit être brûlé.
Même les femmes gardent leurs poils ?
Oui, même les femmes… Ensuite nous avons toujours sur nous un peigne en bois, un bracelet en acier, une dague pour nous protéger et un caleçon.
Je le regarde avec des yeux effarés. Pas seulement parce que les femmes font l’impasse sur l’épilation, ou pour la dague, qui est magnifiquement ciselée… Mais pourquoi diable un caleçon ???!
Nous portons toujours un caleçon, même pour nous laver !
Ah, là c’est différent… Et d’apprendre que les règles des sikhs sont très strictes : pas de sexe avant le mariage !
Surtout, retournez admirer le Temple d’Or à la nuit tombée : éclairé, son reflet dans l’eau lui donne une dimension irréelle, un peu comme un conte des mille et une nuits. Avec un peu de chance, vous croiserez peut-être de futurs mariés qui, pour leur enterrement de vie de jeune fille / garçon, se font prendre en photo avec les touristes. Dur dur de retourner à la ville après ces moments de calme et de sérénité !
3 Comments
On a l’impression d’y être …
Merci pour ce voyage auprès des sikhs ! Ça fait voyager et tu décris si bien qu’on se croirait à tes côtés dans ce calme et cette ambiance à part ! N’oublie quand même pas que l’épilation c’est pas si mal 🙂 Take care !
D’ici 3 mois je me fais une beauté dans un institut 😉 C’est juste pour sauver mon couple!