Si la Chine est majoritairement peuplée de Chinois Han, le sud du pays, en particulier le Guangxi, le Guizhou et le Yunnan, recèle de petits villages où les minorités ethniques conservent une partie de leurs traditions, malgré la modernisation galopante de la Chine. Ces tribus ont pour points communs la vie dans des maisons de bois, des vêtements résolument différenciants et des langues sans parenté avec le chinois. Partons à la découverte d’une mosaïque de couleurs dans un cadre bucolique enchanteur !

Vêtements, coutumes, traditions

Chine minorités terrasses dos dragon 2Une randonnée au milieu des magnifiques rizières en terrasses du Dos du Dragon permet de joindre Ping’An, un village peuplé de Zhuang, à Dazhai, à majorité Yao. Les femmes Zhuang portent encore aujourd’hui un costume traditionnel composé d’une tunique blanche fermée par des boutons bleus, dont les manches sont ornées de bandes bleues aux extrémités et de broderies de fleurs. Cette tunique rehausse un pantalon noir, lui aussi doté de broderies fleuries. Les femmes Yao, quant à elles, se distinguent par leur coiffe : elles ne se coupent jamais les cheveux ! Elles les torsadent avant de les enrouler autour de leur tête, d’en faire une boucle sur leur front avant de les attacher derrière la tête, et de les surmonter d’un foulard noir. Elles portent d’énormes boucles d’oreille en argent, si lourdes qu’elles déforment leurs oreilles. Leurs vêtements sont essentiellement noirs : une jupe plissée noire surmonte un caleçon ; leur taille est pourvue d’une épaisse ceinture rouge et rose et d’un tablier, pour celles qui sont mariées. Les Zhuang et les Yao ne sont pas exclusifs. Ainsi Yi, qui vit à Ping’An, est né d’un père Yao et d’une mère Zhuang.

Chine minorités Dazhai ZhuangChine minorités Dazhai yao 3Chine minorités Dazhai yao 2Chine minorités Dazhai Yao 1

Chine minorités dongLes Dong peuplent des villages à cheval entre le Guangxi et le Guizhou, comme ceux de Ma’An, Pingzhai ou Yanzhai. Il est agréable de traverser et de retraverser les rivières qui séparent ces petits villages bordés de rizières, sur de magnifiques petits ponts ! Ce peuple est connu pour la magnificence de ses constructions en bois, qu’il s’agisse des ponts du Vent et de la Pluie ou des tours du Tambour. Les femmes portent les cheveux attachés en petit chignon au-dessus de la tête, alors qu’un bandeau blanc leur sert de couvre-chef. Une tunique bleu marine brodée surmonte un pantalon noir tout simple.

Chine minorités pont Chengyang

Chine minorités Basha vêtementsA Basha, dans le Guizhou, on ne serait pas surpris de voir débarquer un samouraï aux cheveux longs et à la robe ample sur son fidèle destrier, tant les coupes de cheveux des hommes et des enfants datent d’une autre époque. S’ils ont troqué les tuniques traditionnelles pour des vêtements modernes, ils portent toujours les cheveux attachés en petit chignon au-dessus du crâne, ou quelques mèches de cheveux longs noués en queue de cheval alors que le reste est rasé. Les femmes, quant à elles, portent les cheveux longs noués autour de la tête, en chignon sur le dessus, le tout attaché par un peigne à l’arrière du crâne. Comme les Yao, elles portent une jupe plissée noire sur un caleçon, mais au-dessus d’un T-shirt à manches longues coloré, elles arborent un long tablier noir flanqué de broderies fleuries et de losanges colorés. Animistes, les Miao de Basha vénèrent les arbres et le soleil. Ils habitent toujours dans des maisons en bois traditionnelles, construites en pente comme leurs rizières, et poulets, chiens et canards se baladent sur les chemins de terre en toute liberté !

Chine minorités Basha femmeChine minorités Basha garçons

Chine minorités Xijiang miao 5Xijiang et Langde sont deux autres villages du Guizhou peuplés uniquement par des Miao. Ici les femmes ont troqué leurs costumes traditionnels pour des vêtements modernes mais portent toujours leurs longs cheveux attachés en chignons épais et élevés, qu’elles ornent d’une grosse fleur colorée et qu’elles attachent par une pince en argent et une sorte de long élastique juste au-dessus de la nuque. Xijiang s’est transformé en piège à touristes : à l’entrée du village, les femmes effectuent, en habits de cérémonie, jupes brodées de toutes sortes de motifs de couleur, colliers et coiffes en argent, des « danses de bienvenue ». Sa rue principale est bordée d’échoppes de souvenirs. C’est dommage, car les abords de la rivière sont magnifiques, de même que les rizières à l’autre bout du village et les petites ruelles pavées qui mènent dans les hauteurs, où se situent les maisons des villageois !

Chine minorités Xijiang miao 4Chine minorités Xijiang miao 3Chine minorités Xijiang miao 2Chine minorités Xijiang miao 1

A Xijiang je préfère Langde, autrefois touristique, aujourd’hui assoupi. De petits chemins pavés ou de terre longent la Bala, que l’on peut traverser au risque de mouiller ses chaussures, mais le splendide cadre vaut le coup ! Le village, quasiment dépeuplé, n’appartient qu’à vous et aux enfants qui pataugent dans l’eau de la rivière à côté des buffles. Quelques ponts et des rizières et cet endroit devient paradisiaque pour un week-end au vert !

Chine minorités Langde

Plus on se rapproche des frontières de la Chine avec le Laos et le Myanmar, plus la chaleur humide se fait étouffante et la végétation luxuriante. Nombre de villages peuplés de minorités ethniques côtoient la ville de Jinghong, comme Menghai et Xiaojie.

Au marché de Menghai, il est facile de différencier les Chinois Han des tribus des montagnes du Xishuangbanna. Des groupes de 4 ou 5 femmes arborent le même style vestimentaire à quelques détails près, ce qui rend aisée la reconnaissance de leur appartenance tribale, voir de leur village d’origine. Comme ces femmes qui portent le même foulard fleuri pourpre et les mêmes sacs filés à franges, jaune fluo ou bleu ciel. Ou ces autres, qui ont la même jupe portefeuille pourpre à motifs fleuris, et portent une serviette nouée autour de la tête. Ou encore ces villageoises qui arborent des sacs à franges ornés de nombreux pompons colorés !

Chine minorités Xiaojie dai femmes 1Alors que je me perds dans les villages aux alentours de Xiaojie, un grand brouhaha m’attire et me voilà alpaguée par un groupe de femmes, qui me proposent de déjeuner. Juste derrière elles se trouve une immense place où sont dressées des tables couvertes de bols de nourriture : porc, poulet, riz, sauces, sortes de chips, cacahouètes,… Autour de chaque table sont installées une dizaine de personnes du même sexe : on ne mélange pas les hommes et les femmes. Et les hommes sont en majorité : il n’y a que deux tables de femmes, des jeunes vêtues de vêtements modernes. Les plus âgées, celles qui ont vraisemblablement préparé le repas, sont assises sur des bancs en attendant leur heure de gloire : les danses traditionnelles. Toutes vêtues de robes fleuries et d’élégants chapeaux, elles entament sous mes yeux ébahis des mouvements d’une grâce à faire pâlir les plus grandes danseuses classiques ! En tant qu’invitée d’honneur, on m’assoit à une table d’hommes. Ces derniers s’affairent pour combler tous mes désirs : on remplit mon verre à la seconde où je le vide, on me pousse à manger encore alors que mon estomac ne peut rien supporter de plus, on insiste lourdement pour me faire goûter l’alcool de riz local… Les habitants des villages font toujours preuve d’une hospitalité hors du commun !

Chine minorités Xiaojie dai hommesChine minorités Xiaojie dai femmes 2

Alex, serveur, me rassure sur la continuité des festivals :

Les Dai organisent des fêtes de village pour n’importe quelle raison : un mariage, un diplôme, la construction d’une nouvelle maison, une naissance,…

Plus au nord du Yunnan, les Mosu ont la chance d’évoluer dans un cadre enchanteur, dans des villages paisibles disséminés autour du lac Lugu Hu.

Chine minorités Lugu Hu 3Chine minorités Lugu Hu 2Chine minorités Lugu Hu 1

Chine minorités Lugu Hu Mosu 3La mode pour les hommes consiste à porter une sorte de chapeau de cowboy, tandis que les tenues vestimentaires des femmes, surtout leur coiffe, varie en fonction de leur statut social. Elles portent une jupe plissée longue et grise, une ceinture épaisse rouge, une tunique chinoise de couleur et leur tête est couverte d’une étole épaisse. Ferventes pratiquantes du bouddhisme, les plus âgées d’entre elles continuent à faire tourner leur moulin à prières en même temps qu’elles marchent.

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Chine minorités palissadeEn tant que dernière société matriarcale au monde, les Mosu suivent des traditions pour le moins originales lorsqu’il s’agit de fonder leur famille.Le rituel amoureux constitue un véritable danger pour l’amant ! Lorsqu’un homme et une femme s’apprécient, la femme l’invite à le rejoindre dans sa chambre… sans être vu du reste de la famille et après avoir escaladé la palissade de bois qui mène au 1er étage ! Une fois que l’homme a réussi cet exploit périlleux, il accroche son chapeau sur un clou à l’extérieur, signe que l’endroit est « occupé ». Si les amants sont exclusifs, la relation continue néanmoins de cette façon, dans la discrétion la plus totale, jusqu’à ce qu’un enfant naisse et qu’il ait un mois. A ce moment, l’identité du géniteur est rendue publique, mais les deux amants continuent d’habiter séparément et l’homme de rejoindre la femme, par la porte d’entrée cette fois, pour  la nuit. Chez les Mosu, la notion de « père » n’existe pas : l’enfant vit avec sa mère et est pris en charge par ses oncles (les frères de sa mère), son géniteur n’ayant strictement aucun rôle dans son éducation. Quand je demande à mon guide s’il n’est pas triste de cette situation, il me répond :

Lui-même, en tant qu’oncle, s’occupera des enfants de ses sœurs, il n’a donc aucun regret. Ce n’est que dans le cas exceptionnel où la mère n’a pas de frère qu’on demande au père de remplir le rôle d’oncle.

Le monde à l’envers quoi ! Dans la maison, c’est la grand-mère qui détient tous les pouvoirs. Dans la salle de réunion, qui sert aussi de chambre, de salle à manger et où le cochon se décompose pendant 9 ans avant de constituer l’aliment principal d’une excellente spécialité culinaire locale, la grand-mère siège près du feu, ses fils face à elle. On accorde tellement plus d’importance à la femme qu’à l’homme chez les Mosu, que si l’enfant né est une fille, on la nommera le jour de sa naissance, alors que si c’est un garçon on attendra le lendemain !

Vivre dans un village, la panacée ?

Sébastien, Français, et sa femme Yucinla, originaire de Mangan, un village peuplé de Bulang, vivent à Jinghong.

A l’époque où je baroudais en Chine, je prévoyais de passer 3 semaines environ dans le Xishuangbanna. Finalement j’y suis resté 6 mois ! Et j’y ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. Quand elle m’a emmené pour la première fois dans son village natal, je parlais à peine 3 mots de Chinois. Mais les habitants m’ont gratifié d’un accueil si chaleureux que je m’y suis tout de suite senti bien. Des moments de partage sont passés à travers les sourires, les rires, le toucher, la nourriture, le regard et l’observation, peut-être même plus que si nous nous étions compris. Je reviens en France quelques mois par an pour le travail, et j’habite à Jinghong. Mais Yucinla et moi n’avons qu’une seule envie : retourner dans son village avec notre enfant et notre chien.

Comme je le comprends !!! Mangan est perdu, comme d’autres villages minuscules de minorités Lahu ou Wa, au milieu des collines et des rizières, à des kilomètres de toute ville. On ne peut y parvenir qu’à moto, en charrette ou à pied, de Menghun ou de Menghai. Votre périple vous conduira aux abords d’un magnifique lac bordé de rizières d’un vert éclatant en été. Et vous aurez l’occasion de goûter à la générosité des villageois, dont l’un n’a pas hésité à parcourir plus de 20km à moto pour me ramener à la ville à la tombée de la nuit !

Chine minorités campagne 2Chine minorités campagne 1

Si Sébastien rêve de vivre au village, ce n’est pas le cas de la gérante de mon auberge de jeunesse. Originaire du Guangdong, elle a vécu en Nouvelle-Zélande avant de rencontrer et de rejoindre son amoureux à Jinghong. Lui est né à Nanluo Shan, où les plantations de thé pullulent, dans une famille Hani. Il aimerait retourner dans son village, où il a une maison et un terrain, mais mon hôte envisage de l’emmener en Nouvelle-Zélande.

Bien sûr qu’un homme rêve de vivre au village : ce sont les femmes qui s’occupent de tout ! L’éducation des enfants, la tenue de la maison, le travail dans les plantations… Elles sont considérées comme du bétail ! Pour moi il est hors de question de vivre dans un endroit où l’égalité hommes / femmes n’existe pas et où il est difficile de prendre une douche ! Si sa famille accepte mon indépendance et ma façon de vivre, à la rigueur, mais je n’y crois pas.

Une disparition inéluctable

Les fervents défenseurs de la diversité culturelle déplorent le fait que les minorités ethniques s’enrichissent et perdent peu à peu leurs traditions.

Selon Alex :

Avant la Révolution Culturelle, les membres des tribus étaient pauvres, ne cultivaient que ce dont ils avaient besoin pour vivre, et quittaient rarement leurs collines et leurs rizières pour se rendre en ville. Après la Révolution Culturelle et le rationnement pour pourvoir aux besoins de l’armée, ils ont commencé à faire de leurs récoltes un commerce, ce qui les a enrichis et leur a donné accès aux infrastructures modernes.

Chine minorités Xiaojie maisonsDe magnifiques maisons de pierre aux toits bleus scintillants et aux portails dignes des plus grands châteaux côtoient à présent les maisons en bois traditionnelles, aux toits à larges bordures, où le rez-de-chaussée accueillait autrefois les animaux et le 1er étage les êtres humains.

Helen, qui vit à Jinghong, a observé l’évolution de la ville au cours des 5 dernières années :

Avant, tu venais dans cette rue, c’était calme et paisible. Maintenant à cause de l’enrichissement des villageois, tout le monde a une voiture, la ville est devenue polluée et bruyante.

Les jeunes en particulier étudient le chinois dans les villes, possèdent tous un smartphone et ont troqué les vêtements traditionnels contre un style occidental.

Quand je demande à Yi si sa soeur respecte les traditions vestimentaires Yao ou Zhuang, il me répond :

Elle s’habille plutôt comme les Han !

La sœur de Yucinla me raconte :

Chez les Wa, il y a normalement deux escaliers pour rentrer dans la maison, un pour l’homme et un pour la femme. Les deux personnes vivent complètement indépendamment, mangent chacune de leur côté, mais partagent le même lit. Aujourd’hui, la tradition des deux escaliers tend à disparaître.

De même chez les Mosu : l’escalade de la palissade pour rejoindre sa dulcinée n’est que très rarement pratiquée de nos jours.

En même temps, qui peut reprocher aux minorités ethniques de succomber à la facilité du confort et de la liberté apportés par le monde moderne ?

Le saviez-vous ?

Chez les Bulang, le prénom des femmes commence toujours par « Yu » et celui des hommes par « Aï ». De nombreuses minorités mangent des araignées jaunes. Pas forcément pour leur goût, mais comme il y en a en quantités, ça permet de rajouter un peu de viande au riz !

Un fabuleux trek à faire seul au milieu des rizières… De Jinghong, prenez un bus pour Menghai, puis pour Menghun. Continuez sur la route en direction de Daluo. Après un virage à 90° et les remparts d’un village, un petit chemin pavé part entre les arbres sur votre droite. Long d’une trentaine de kilomètres, il passe par Mangan et d’autres villages avant de rejoindre Mongan, où la route bétonnée remplace les pavés. Elle mène à la grande voie qui relie Xiding et Menghai en passant par de splendides rizières vertes en été, qui entourent un immense lac, magnifique au soleil couchant. Vous pouvez rejoindre Jinghong en une journée (dernier bus aux alentours de 21H devant la gare routière) si vous commencez à marcher tôt le matin. Mais goûter aux joies d’une nuit dans un village changera peut-être votre vie pour toujours, à condition de trouver un habitant qui accepte de vous héberger…

Les minorités ethniques ne sont pas concernées par la loi chinoise qui veut que chaque couple se limite à un seul enfant, sous peine de verser des pénalités au gouvernement. De ce fait, Yucinla a la chance d’avoir 4 sœurs et 2 frères, quand l’enfant unique est roi chez les Chinois Han. Le trafic d’enfants est un fléau dans le Sud de la Chine. Les progénitures des tribus sont soit achetées, soit volées à leurs parents. Yucinla a fait l’objet d’une offre lorsqu’elle avait 13 ans. Ses parents ont refusé, mais leurs voisins ont accepté de vendre l’une de leurs filles. Cette dernière est revenue au village après avoir fui, 7 ans après son achat. Elle aurait vécu des choses horribles dont elle ne parle à personne. Les villageois qui n’ont, pour beaucoup, pas les moyens de subvenir aux besoins de leur grande famille, voient l’acquisition de l’un de leurs enfants comme une bénédiction : leur prix élevé permettra à la famille de mener une vie meilleure, tandis que l’enfant acheté bénéficiera d’une bonne éducation dans une autre famille. Ce qu’ils ignorent néanmoins, c’est que leur fille fera probablement partie d’un réseau de prostitution, ou rejoindra la main d’œuvre de fermiers chinois qui, à cause de la loi, n’ont pas assez d’enfants pour les aider dans leurs travaux agricoles. Les femmes volées puis achetées n’hésitent pas à reproduire le schéma de leur vie auprès d’autres enfants !