Pour aller de Jodhpur à Jaisalmer, deux solutions : le bus ou le train. J’hésite et mon agent de voyage me conseille le train de nuit qui relie les deux villes, départ à 23H45 et arrivée à 5H30. Malheureusement les réservations sur internet sont à présent fermées, mais l’agent me confirme qu’il y aura de la place :

Peu de voyageurs vont de Jodhpur à Jaisalmer. Si jamais il n’y a pas de place en sleeper (couchettes), prends un ordinary ticket (billet sans réservation).

Soit… Après un court trajet en rickshaw, on me confirme à la gare qu’il n’y a plus de sleeper disponible et que la meilleure solution consiste à prendre un ordinary ticket et à demander au conducteur du train une couchette en voiture 1 ou 2 (les voitures sans réservation). Il me reste une heure à tuer avant le départ, que je passe devant la gare, assise par terre au milieu des autres voyageurs indiens. Certains dorment sous des couvertures à même le sol en attendant l’heure fatidique de leur départ. Une famille me présente son bébé. Apparemment le spectacle d’une « blanche » en train de faire des grimaces pour amuser un bambin est nettement plus intéressant que le dernier film Bollywood : je me retrouve bientôt avec une vingtaine d’observateurs masculins debout à un mètre de nous tandis que les femmes, en retrait, me font des sourires timides avant de faire signe à leurs compatriotes :

Tu vois, elle m’a regardée !

Au moment du grand départ, sept occidentaux, âgés de 16 à 20 ans, attendent sur le quai devant le futur emplacement des voitures pour passagers sans ticket réservé. Originaires des Etats-Unis, d’Italie et d’autres pays, ils ont le privilège de faire leurs études dans un lycée qui propose à ses étudiants un programme d’échange avec 13 pays du monde, dont l’Inde, où ils se rejoignent pour un cursus de deux ans.

Le train arrive. Contrairement aux dires de mon guide, sa gare de départ n’est pas Jodhpur, où je me trouve à ce moment-là, mais Ajmer. En conséquence, les wagons 1 et 2 débordent déjà de passagers dont les bras et les jambes dégorgent des portes et des fenêtres ! Je suis mes compagnons occidentaux dans ce qui ressemble à un wagon de marchandises : il doit faire 4m² et ne contient pour tout mobilier que trois étagères à deux niveaux, dotées de lattes, dont on comprendra après la ruée des locaux qu’avec une couverture ils peuvent servir de lit de fortune. Mes compagnons et moi élisons domicile sur le sol, qui lui-même est composé d’une succession de barres de métal et d’incurvations, autant dire que s’y vautrer se révèle douloureux. Mais avons-nous le choix ? Un homme est déjà couché dans un coin lorsque nous arrivons. En plus des 12 jeunes hommes qui montent squatter les 6 lits de fortune, et des 3 qui se couchent en-dessous, une famille composée essentiellement de femmes indiennes occupe, assise, le milieu de la voiture, tandis qu’une dizaine d’hommes se fraient tant bien que mal une place au milieu de nos pieds.

Car, pour rendre la situation moins inconfortable, nous avons placé nos sacs contre les murs de façon à pouvoir nous adosser de façon plus confortable. Mais ceci ne nous sera d’aucun secours pour trouver le repos en pleine nuit… Alors couchés sur le sol, il s’agit de vérifier avant chaque mouvement si en prenant appui sur le sol on n’écrase par les orteils de quelqu’un d’autre… si en nous retournant on ne heurte pas l’estomac de notre voisin de calvaire avec nos genoux… ou si on ne se retrouve pas nez-à-nez avec les pieds aux chaussettes trouées d’un autre passager !

Prendre un train en Inde du Nord constitue certainement une expérience unique ! Mais cette expérience-là, je ne la tenterai pas deux fois, c’est sûr !