Cette journée s’annonçait pourtant bien… A Udaipur, ville la plus romantique de l’Inde, je loue un vélo pour explorer les alentours de la ville, construite au bord du Lac Pichola, de 4km de long pour 3km de large. Bien sûr, l’absence de panneaux écrits en lettres latines et la circulation anarchique qui règne sur les routes de l’Inde rendent l’expédition aventureuse. Mais ma bonne étoile semble veiller sur moi.

Avec un peu d’expérience, la circulation à l’indienne, qui semble dénuée de toute réglementation autre que celle du bon sens, sur des routes dépourvues de passage pour piétons ou de feux tricolores, apparaît évidente. Le klaxon y prend tout son sens. Alors qu’en Europe, le code de la route implique que le conducteur fasse attention à tout ce qui se passe autour de lui, la logique indienne veut que le véhicule de derrière signale sa présence. Ainsi ce sont les autres qui vous avertissent de faire attention, et pour tous ceux qui ont expérimenté ma façon de conduire, cette pratique me sied à merveille !

Inde Udaipur fontaineGrâce à d’adorables policiers et gérants d’hôtels, découvrir les jolis jardins de Saheliyon-ki-bari et le petit réservoir d’eau du Fateh Sagar, tous deux situés au nord du lac Pichola, s’avère plus facile que prévu. Il fait encore bon pédaler sous le soleil matinal, alors que les marches au bord du Fateh Sagar invitent les femmes vêtues de saris jaunes et oranges, à prendre un bain dans le lac. Ces couleurs tranchent tellement avec la dominante verte et bleue du ciel, du lac et de son jardin que c’en est un ravissement pour les yeux ! Et partout des sourires !

Inde Udaipur lac 1

A midi le soleil est à son paroxysme. Après avoir parcouru 8km sur des chemins cahoteux pour traverser d’innombrables villages, j’arrive enfin à l’entrée du Sajjan Gargh et Wildlife Sanctuary. Ce parc porte bien mal son nom : il hébergerait des léopards, mais quand je demande s’il n’est pas dangereux de faire le chemin à pied, la gardienne me répond que non, parce qu’on ne les voit pas ! Atteindre le Sajjan Gargh ou palais de la mousson implique de parcourir 4 ou 5km de route avec un dénivelé important. La gardienne m’assure que c’est faisable et me conseille de monter la pente en marchant à côté du vélo à l’aller pour descendre la route au retour plus facilement qu’à pied. Pousser un vélo sur 4 ou 5km de route, sur une route à fort dénivelé, en plein cagnard, avec aucun espace d’ombre à l’horizon et moins d’un litre d’eau, clairement, j’ai présumé de mes forces ! La pire humiliation pour moi reste d’assister, impuissante et déconfite, aux moqueries des Indiens qui me doublent en voiture ou en scooter !

Enfin arrivée au sommet de la colline, je me repose 2H et remplis la bouteille d’eau (il n’y a même pas de quoi manger !) avant de reprendre la route. Et la descente de ces 4 ou 5km assise sur le siège de mon vélo m’apparaît comme une revanche sur la vie !

Inde Udaipur wildlife sanctuary

Inde Udaipur femmeA présent mon but est de longer le lac par l’ouest en direction du sud, jusqu’au village de Sisarma où je désire réserver pour une journée de balade dans la campagne à la rencontre des villageois. Le chemin, entre 5 et 10km, se fait facilement par la route. Mais contrairement à mes attentes, il ne permet pas d’avoir de vue sur le lac ! Difficile de trouver le village alors que tous les panneaux sont écrits en sanskrit. J’aperçois une blonde : enfin ! une touriste étrangère perdue comme moi loin des sentiers battus !

Est-ce que tu saurais par hasard où on est là ?

Euh… désolée, je ne parle pas anglais, je suis Indienne !

Effectivement, elle retire ses lunettes de soleil et je découvre sous ses cheveux dorés une peau laiteuse, d’immenses cils blonds et des yeux noisette… une albinos ! Passée ma surprise, nous essayons tant bien que mal de nous comprendre. Je suis arrivée à Sisarma mais elle ne sait absolument pas où se trouve l’agence dont je lui parle. Je retente ma chance auprès de rickshaws, de clients affalés devant un stand de bouffe, les villageois, sympathiques, restent néanmoins bouche bée devant ma requête. Bon c’est pas grave, comment je fais pour retourner à Udaipur par la rive qui longe l’est du lac ? Les villageois m’indiquent d’abord de retourner sur mes pas, mais je ne veux pas faire le trajet inverse, d’autant plus qu’un joli point de vue m’attend sur la berge est du lac pour profiter du coucher du soleil ! Finalement un jeune garçon m’indique de continuer ma route toujours tout droit, sur 5km environ.

Je pédale, je pédale, encore et encore… Des montagnes se trouvent entre le lac et moi, est-ce normal ? Je finis par arrêter un conducteur de scooter. Il m’indique que je fais fausse route et que je dois reprendre le chemin en sens inverse ! Il me promet de conduire lentement pour que je puisse le suivre. Mais fatiguée d’une journée de vélo, je laisse bientôt la distance se creuser entre lui et moi. Le soleil amorce dangereusement sa courbe vers l’ouest (maintenant que j’y pense, avec un peu de jugeote j’aurais pu me repérer grâce à ça !). Je fais signe à une famille qui squatte une maison au bord de la route pour leur demander de l’aide. Bien sûr ils ne comprennent rien et me disent bonjour en retour, en exhortant leur petit bébé à profiter de la première vision d’une occidentale qu’il aura eu dans sa vie ! Après avoir surmonté le quiproquo, une jeune femme me guide dans la même direction que le conducteur de scooter en me conseillant de ne pas paniquer. Je ne panique pas, j’en ai marre ! Un cortège d’hommes vêtus de blanc me fait relativiser brièvement. Les quatre de devant portent à bout de bras un corps inanimé recouvert d’une couverture sur une planche en bois, pendant qu’une vingtaine suit lentement en chantant des mantras et en portant le bois sec qui servira à la crémation.

Inde Udaipur coucher soleil

Lasse, dépitée, effrayée à l’idée d’être sur la route à la nuit tombée, je parcours les 10km qui me séparent d’Udaipur. Que d’efforts pour un trajet inutile ! Après 40km de vélo, quand enfin je m’assois sur les marches au bord du lac Pichola pour admirer le coucher du soleil, exténuée, les membres endoloris, la peau moite de sueur mais pleine d’espoir pour que la suite de mon périple se déroule mieux que cette journée… un pigeon me chie dessus !!! A mes côtés un Indien s’esclaffe :

C’est bien, c’est signe de chance !

Pigeon1