Quand on vous dit « Chine », vous pensez Beijing, son air pollué et sa Cité Interdite ; Shanghai et son Bond aux tours futuristes ; Hong Kong et ses gratte-ciels qui se dressent au-dessus de collines escarpées couvertes de jungle. Pourtant le secteur agricole représente encore 40% des emplois, il ne faut pas l’oublier ! Rien que le chemin pour rejoindre la campagne chinoise vaut le coup d’œil : il côtoie ou surplombe des collines verdoyantes, des rivières tumultueuses et des rizières cultivées par des paysans aux chapeaux pointus. Visite de quelques villages parmi les plus charmants et les plus impressionnants de la Chine rurale.

Wuyuan

Il pleut des cordes, de quoi dénaturer n’importe quelle jolie ville. Et pourtant, le charme conservé de Xiao Likeng, dans la région de Wuyuan (Jiangxi), a le don d’apaiser ma méchante humeur due aux vêtements mouillés qui me collent à la peau. C’est que la première vue de ce village a de quoi ravir les yeux ! Imaginez des maisons aux murs blancs noircis par le temps, aux toits de tuiles noires à l’architecture chinoise traditionnelle, des lampions rouges qui surplombent les portes, et une rivière qui sépare les rangées de maisons en deux, tout en les reliant par des planches en bois ou de jolis ponts de pierre…

Yancun

Sixi

Sixi

Da Likeng

Da Likeng

Xiao Qi

Dans chaque village du Wuyuan, l’entrée réservée aux touristes constitue la 1^ère surprise : si vous achetez un billet d’entrée valable 5 jours, on vous donnera une carte magnétique que vous devrez présenter au guichetier avant d’apposer l’empreinte de votre index afin de vérifier que la carte vous appartient bien ! Difficile de faire plus moderne à des milliers de kilomètres du gratte-ciel le plus proche ! Photographiez le plan du circuit touristique à l’entrée, il vous permettra de passer par de magnifiques ruelles et chemins de forêt tout en évitant de passer à côté des sites touristiques majeurs.

On visite ces merveilleux villages du Wuyuan pour découvrir de vieilles bâtisses construites par de riches marchands sous les dynasties Song (12^e et 13^e siècle), Ming (14^e au 16^e siècle) ou Qing (17^e au 20^e siècle). Quoique toujours habitées, probablement par les descendants de ces marchands, leur infrastructure et leur ameublement d’époque ont été préservés. On entre donc par une immense porte de bois ou de pierre à motifs ciselés. Parfois une petite cour précède la pièce principale, parfois on la rejoint directement. On y trouve encore les sièges et les tables en bois laqué, les grandes calligraphies murales, les vases en porcelaine, des pièces de monnaie anciennes et d’autres objets de la vie courante utilisés durant ces périodes. Parfois on vous servira du thé et on tentera de vous vendre des souvenirs. Si les escaliers sont condamnés aux visiteurs, on peut admirer du rez-de-chaussée les balcons en bois de l’étage, avec leurs motifs ciselés de vie champêtre, de fleurs ou d’animaux. Les structures des maisons étant toutes identiques, vous finirez par vous lasser de ces visites redondantes, malgré les panneaux explicatifs en anglais. Mais les villages du Wuyuan ont bien plus à offrir !

Visiter les boutiques fait partie intégrante du parcours à la chinoise ! Faites abstraction des échoppes de souvenirs qui bordent le circuit touristique et contournez les groupes de Chinois pour profiter au mieux du cadre champêtre qui vous environne. Les villages sont entourés de rizières, de forêts et de collines verdoyantes, dont on peut emprunter les chemins. Outre le côté bucolique, ils offrent souvent une jolie vue d’en haut sur les toits des maisons du village.

Xiao Qi

Xiao Qi

Xiao Likeng

Sixi

Mais la plus jolie expérience consiste à se balader au hasard dans les étroites ruelles tôt le matin ou à la nuit tombée lorsque, les groupes et leur guide à microphone enfin partis, les villageois peuvent reprendre le cours normal de leur existence et les rues vous appartiennent. Vous y verrez les hommes se laver en caleçon dans la rivière, les femmes y laver leur linge et la vaisselle, le gérant de l’épicerie compter à l’aide d’un boulier !

Difficile de faire un choix si vous ne pouvez rester qu’un jour sur place, chaque village a un charme particulier : Xiao Likeng et Sixi sont les plus jolis villages de la région de Wuyuan ; Xiao Qi a le meilleur parcours, qui suit en partie une ancienne route postale et vous immerge dans la campagne ; la route entre Qinghua et Da Likeng, qui emprunte des chemins dans la forêt, bordés de rivières déchaînées, est sublime. Surtout, logez une nuit chez l’habitant ! La chambre est propre et peu chère, votre hôte vous préparera un repas maison, et vous aurez l’occasion de partager le quotidien de votre famille d’accueil. Profitez-en pour regarder avec papi un film dramatique chinois. Observez le défilé incessant des voisins ou des membres de la famille qui entrent et sortent tout au long de la journée : la porte reste grande ouverte même si la maison est vide ! Amusez-vous à courir derrière ces bébés aux yeux bridés : les bas de pantalon / pyjama laissent la raie des fesses à l’air libre !

Yongding

Le district de Yongding, au cœur de la campagne du Fujian, offre une vision bucolique totalement différente de celle du Wuyuan. La région est réputée pour ses toulous, des constructions en terre bâties par les clans hakka sous les Qing. Leurs descendants y vivent encore aujourd’hui. C’est que ces bâtisses, bien pensées, apportent à leurs habitants tout le confort des bâtiments les plus modernes, sans avoir recours à la technologie : en été, les pièces, dont l’un des murs est fait de terre, gardent un peu de fraîcheur, tandis qu’elles conservent la chaleur en hiver.

Les villages de toulous de Chuxi, Hongkeng, Gaoobei, Yanxiang Lou et Zhenfu Lou ont été classés au patrimoine mondial par l’UNESCO. Je jette mon dévolu sur celui de Honkeng et son cadre est tellement magique que je me contente de celui-là ! Imaginez une rivière entourée de banians, surmontée de jolis ponts de pierre et flanquée de toulous tout du long…

Les sites majeurs du village de Hongkeng sont le Kuiju Lou et le Fuyu Lou, construits dans un style de palais, et le Zhencheng Lou circulaire. Néanmoins ils ont perdu de leur authenticité à cause de leur popularité et les échoppes de souvenirs ont remplacé les habitations traditionnelles. Je leur préfère de loin les toulous habités, dont les villageois ont su préserver leur style de vie en échappant aux groupes à microphone !

Qu’ils soient circulaires ou rectangulaires, les toulous sont constitués comme suit :

• Une immense porte d’entrée, en face de laquelle, à l’autre bout du bâtiment, se dresse l’autel en l’honneur des divinités, où brûle de l’encens.
• Une cours à ciel ouvert émaillée de maisonnettes, qui servent soit de cuisines, soit d’enclos à bestioles, bien que poulets et oies vadrouillent en toute liberté dans ce joyeux bordel !
• Le bâtiment lui-même, circulaire ou rectangulaire, compte environ 4 étages. Son mur extérieur est fait de terre et les palissades, escaliers, pontons et balustrades sont constitués de bois. Les pièces, de seulement quelques mètres carrés, ne communiquent pas entre elles.

Il semblerait que les familles habitent sur 4 étages. Les espaces du rez-de-chaussée constituent les pièces à vivre : salles à manger ou salons. Les 3 autres étages sont parcourus de débarras et de pièces dont les portes sont fermées par des cadenas. Malgré les fenêtres obstruées par d’épaisses moustiquaires, la présence de lits, de futons et d’armoires me confirme qu’il s’agit des chambres. Au-dessus des rambardes ou sur les tuiles sèche le linge.

On pourrait croire que ces habitations primitives abritent des gens pauvres aux conditions de vie précaires. Pourtant, les villageois conduisent des voitures et des motos, les salles à manger sont équipées de ventilateurs, les cuisines de frigo, les enfants se rassemblent pour regarder la télé dans le salon, et j’ai pu observer, à l’intérieur des chambres, des ordinateurs et des enceintes dernier cri que je ne pourrais même pas m’offrir !

Qu’il est bon de se balader dans les cours à l’heure du déjeuner ! Les femmes cuisent le riz à l’extérieur ou assaisonnent leurs woks de légumes dans des cuisines noires de graisse. Quel fumet ! Une mère apprend à sa fille à réaliser des zongzi, des gâteaux de riz gluant avec des légumes, emballés dans des feuilles de bambous et ligotés par des ficelles en plastique. C’est que le festival des bateaux-dragons a lieu le lendemain pour commémorer le suicide de Qu Yuan, poète incompris de l’empereur, qui se jeta dans une rivière. Si les zongzi étaient traditionnellement lancés dans le Hongkeng en offrande, ils sont à présent mangés goulument par les enfants, qui ne peuvent s’empêcher de mettre leurs doigts dans le grand bol de riz en attendant le jour fatidique !

Petit conseil néanmoins : évitez le printemps pour visiter les régions du Jiangxi et du Fujian… En période de mousson, il y a tout de même plus agréable que de parcourir la nature sous des trombes d’eau !