De la route qui mène vers Hout Bay, on aperçoit les milliers de maisons de tôle d’Imizamo Yethu qui s’étendent de la voie routière jusqu’aux flancs de la colline comme un amas de tôle dans une décharge, sans espace libre. A la sortie du bus, nous sommes accueillis par le sourire chaleureux de Kenny, petit noir trappu, dents du bonheur, affublé d’un béret. Issu de ce township et extrêmement impliqué dans le développement de ses communautés, il sera notre guide pour déambuler dans ses ruelles étroites.
De l’extérieur, ce township ressemble exactement à ce que j’imaginais : une immense étendue de petites baraques en tôle ondulée où vivent des familles entières sans intimité et sans confort, quelques coins toilettes où s’amoncellent les excréments de milliers de résidents illégaux, une criminalité due à la présence de gangs que les locaux acceptent, faute de patrouilles policières,… Heureusement, la réalité vaut tellement mieux !
Commençons d’abord par les points négatifs : le terrain sur lequel s’est construit Imizamo Yethu s’étend sur à peine la moitié de la superficie dont ce township aurait besoin pour que ses habitants vivent de façon décente. En même temps cette situation n’est guère différente de celle que j’ai vécue à Paris. Kenny nous explique :
Imizamo Yethu rassemble 30000 personnes réparties dans 4600 foyers et issues de 15 communautés africaines différentes. Malgré sa situation à proximité d’Hout Bay, le taux de chômage y est de 40%.
Y a-t-il des problèmes liés à la criminalité ?
Oui, essentiellement à cause de l’alcool. Il y a tout de même 63 bars dans ce township.
Les conditions d’hygiène laissent également à désirer : les familles se partagent les toilettes communes. Alors que nous nous baladons, des enfants nous demandent des bonbons.
Je n’ai pas de bonbons mais j’ai des biscuits ! Si je te les donne, tu les partages avec tes camarades ?
Devant l’assurance du gamin, je lui laisse le paquet… avant qu’il ne l’emmène malgré les remontrances des autres enfants ! Heureusement Kenny récupère le précieux cadeau et organise la distribution. Ca me servira de leçon !
Ceci dit, la situation n’est pas aussi noire que je l’imaginais. A droite du township se trouve un poste de police, quasiment dédié à la sécurité des lieux. A quelques centaines de mètres sur la gauche, un hôpital soigne les résidents. Lors de notre promenade dans les ruelles étroites, je me suis sentie bien, dans un environnement accueillant et joyeux : quelques femmes se tiennent sur le perron de leur porte et supervisent les enfants qui jouent, les plus petits en baluchon sur leur dos, les hommes jouent au billard dans le bar ou squattent sur les escaliers devant, de la musique émane de quasiment toutes les baraques et un fumet agréable s’échappe de leur barbecue. Dans les salles des bâtiments publics, des jeunes utilisent gratuitement les ordinateurs, des femmes s’occupent de leurs enfants en bas âge, d’autres prient et chantent.
Imizamo Yethu signifie « ceux qui se battent ». Et effectivement, nombreux sont les projets menés par la population, en lien avec des fondations étrangères, pour réhabiliter les lieux. Déjà, l’intérieur des baraques de tôle n’est pas aussi désuet que je l’imaginais. Elles sont quasiment toutes fournies en électricité et sont aménagées avec tout le confort de nos maisons européennes : télévision, machine à laver, frigo,… Un projet en collaboration avec une fondation irlandaise a même permis la construction de dizaines de maisons en béton, bien plus spacieuses que mon appartement à Paris, où les familles vivent gratuitement !
Ces maisons en béton sont accessibles à tout Sudafricain qui le souhaite, il n’a pas besoin d’être originaire d’Imizamo Yethu. Il suffit de s’inscrire sur une liste d’attente, de gagner moins de 3500 rands (250€) par mois, et les maisons sont délivrées selon le principe du premier arrivé, premier servi.
3 millions de maisons en béton ont ainsi été construites dans les townships d’Afrique du Sud, à raison de 80.000 rands (5800€) la maison. C’est insuffisant pour couvrir tous les besoins de la population mais le gouvernement y dépense une grande partie de son budget, les investissements étrangers restant une goutte d’eau dans l’océan.
Le township bénéficie de 4 écoles, 2 primaires, dont l’une a été financée par un couple allemand, 1 lycée et une école pour adultes. Tous les professeurs sont éduqués et rémunérés par le gouvernement. A la place de l’ancienne station de pompiers qui a brûlé, le township a pour projet de construire une salle de sport.
Enfin, pour éviter les grossesses non désirées, surtout chez les adolescentes, et pour endiguer la propagation du sida, tous les bars distribuent des préservatifs… gratuitement ! D’ailleurs, quand je demande à Kenny si lui aussi en bénéficie, il me répond :
Je ne les utilise pas avec ma femme mais quand je vais voir ailleurs, bien sûr ! Tu sais, ma mère était la première femme de mon père. Un jour elle est allée voir une autre femme du township et l’a convaincue d’aimer mon père… puis une deuxième ! L’amour ne doit pas être égoïste…
Une chose est sûre, les habitants des townships ont, en plus de leurs problèmes propres, les mêmes sujets de débat que nous !
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